Pourquoi les espagnols n’ont-ils jamais trouvé Paititi ?

Les espagnols ont d’abord entendu parler de Paititi après l’épisode de la fuite de Manco Inca, alors qu’ils prenaient possession de l’empire. Quelques expéditions que nous avons vues furent alors lancées pour explorer la forêt, mais la situation politique a très vite limité ces initiatives :

En effet, les relations entre les conquistadors et la royauté espagnole se détériorent fortement. Le roi veut mettre un terme aux abus et aux exactions de ces aventuriers de la première heure qui se comportent de maniere tyranique avec les locaux, torturent, violent, volent, les réduisent en esclavage, se transforment en petits chefs de guerre et se combattent entre eux. En 1550, une ordonnance royale interdit ou suspend les explorations de découverte ou de conquète en cours pour stabiliser la situation encore précaire de la nouvelle colonie et éviter une révolte indienne.

Après la conquête, les espagnols ayant participé à cette dernière sont d’ailleurs principalement occupés à se disputer les territoires andins de l’immense empire inca, et à accaparer le maximum de terres fertiles et de mines productives pour leur propre compte. Le roi tente de récupérer la main, mais ils renvoient son représentant en Espagne et font sécession… Une véritable guerre civile s’en suit, et occupe les conquistadors pendant des années.


Finalement un envoyé du roi dénommé Pedro de la Gasca parvint non sans mal à reprendre le contrôle de la province du Pérou, au prix de nombreuses batailles et d’importantes pertes espagnoles de part et d’autre. A l’issue du conflit, les terres des vaincus furent redistribuées et surtout, chacun fut strictement assigné à y demeurer sans chercher à conquérir les territoires de ses voisins ou d’autres contrées.


Un autre groupe d’espagnols débarque peu de temps après en Uruguay. Ils rencontrent des indiens bien loin d’être au courant de ce qu’il s’était passé à des milliers de kilomètres de là au Pérou, mais qui étrangement mentionnent également l’existence d’un royaume amazonien très riche : ces habitants de la forêt parlent « du roi blanc », « du Gran Candire », ou encore du « Gran Marani, roi puissant de Paytite »

Les espagnols suivent ces guides (souvent des Chiriguanes dont les ancêtres faisaient des raids sur les Andes pour se procurer des objets en métal) sur 2500 km vers le nord-ouest à travers la forêt. Parvenus dans l’est Bolivien ils fondent Santa Cruz, et doivent se rendre amèrement à l’évidence : le riche royaume amazonien tant recherché n’était autre que la partie orientale de l’empire des incas, dont leurs compatriotes avaient déjà conquis les hautes terres, et revendiquaient la partie forestière.

En 1573 un décret royal vient clarifier la situation entre ces deux groupes espagnols, et fixe une limite au delà de laquelle les nouveaux-venus ne pourront pas mener d’expéditions : Le Madre de Dios. Cette vague d’explorateurs qui n’avaient pas encore étanché leur soif de découvertes se sont donc retrouvés « bloqués » à Santa Cruz dans l’est Bolivien, et ont uniquement pu mener des expéditions autour de cette dernière.


Mais peu importait : la zone est-Bolivienne leur était réservée, et après des milliers de kilomètres parcourus, leurs guides chiriguanaes leur indiquaient enfin qu’ils approchaient et que de riches peuples se trouvaient dans des lieux mystérieux nommés Itatín (au nord est de Santa Cruz dans la cordillère de Panacares), Saypurú (à l’ouest dans le piémont andin), et surtout encore et toujours plus au nord, dans un fabuleux royaume appelé Paititi. Hors, au nord immédiat de Santa Cruz s’étendaient les vastes plaines de Mojos, dernier territoire qu’ils avaient le droit de conquérir puisque le Madre de Dios coulait juste au dessus.

Les espagnols, comme toujours depuis leur départ, ont voulu voir midi à leur porte et, comprenant mal les indiens, ont bien vite confondu Mojos et Paititi. Nous y reviendrons, mais il est très possible que les plaines de Mojos aient été conquises par le roi de Paititi, et aient donc fait partie du territoire de ce royaume, même si elles n’étaient en aucun cas son épicentre. Ceci a créé une grande confusion jusqu’à nos jours. On perçoit typiquement cette confusion en lisant ce que le Mercédaire Diego de Porres a écrit en 1582 : « Je traversai beaucoup de provinces et arrivai près de la Terre Riche, à Santa Cruz (…) qui est le royaume du grand Candire, et les Mojos, et le Paititi, et la province des Amazonas ». Les espagnols ont voulu croire qu’ils étaient arrivés. Depuis ce temps là, toutes les expéditions espagnoles chercheront la ville de Paititi trop au sud, en Bolivie : Irala, De Ayolas, Ñuflo de Chaves… la liste est longue, et continue encore aujourd’hui.

Ceux parmi eux qui ont suivi les guides indiens le plus loin au nord-ouest, comme par exemple Gonzalo Solis de Holguin qui atteint presque les rives du Madre de Dios, rapporteront pourtant les récits d’indiens locaux indiquant clairement que le très riche royaume qu’ils cherchaient était encore un peu « plus au nord », où le grand ancêtre appelé « Yaya » régnait sur un peuple « habillé de vêtements en laine, utilisant des frondes comme les incas ». Le peuple du Yaya vit sur une grande montagne entourée d’une lagune.


Pour finir d’ajouter à la confusion, l’un des rares espagnols ayant participé à la conquête de l’empire inca, et donc autorisé à explorer la foret plus au nord (péruvienne), Juan Alvarez de Maldonnado, descendit le Madre de Dios en 1568 et commit une énorme erreur en interprétant à l’envers les indications sur l’emplacement de Paititi qu’il glana sur sa route, comme nous allons le voir. Son récit, à première vue clair, laisse en réalité la place à diverses interprétations, et a achevé de persuader les espagnols que la cité se trouvait dans l’est Bolivien, ou alors très loin, au cœur de l’impénétrable continent Amazonien.


En 1572 l’opération d’éradication de la résistance Inca dans les montagnes se conclue comme nous l’avons vu par la capture et l’exécution de Tupac Amaru. En lieu et place d’une grande bataille avec les survivants ayant fui l’avancée espagnole, il trouvèrent l’Inca et quelques gardes se rendant à eux. Vilcabamba, connue comme étant la dernière capitale du peuple de l’inca, et dernier endroit où le fabuleux trésor de Manco si il existait aurait pu être gardé ? Une modeste cité, vide de population comme de richesses, incendiée. La fin de la résistance après cet épisode peu glorieux sonne quelque part la fin de la croyance en une mystérieuse grande cité Inca restée inconnue.

Déjà alors, pour les espagnols occupés à exploiter les terres andines riches en métaux précieux, en esclaves et en champs fertiles qu’ils ont accaparés, l’envie de s’aventurer au risque de leur vie dans la forêt décline. Paititi semble alors être en Bolivie, et ils n’y ont pas accès. L’exemple typique est celui de Martín Hurtado de Arbieto : ayant hérité de la vaste province de Vilcabamba, donc de la zone de montagnes et d’une partie amazonienne au delà, il décide de pénétrer dans la forêt au niveau de Huanuco pour explorer son domaine sylvestre. S’enfonçant assez peu profondément dans l’enfer vert, il découvrira pourtant un immense bâtiment occupé par quelques indiens. Ceci ne l’empêchera pas de juger la zone bien peu rentable par rapport à ses mines d’argent sur les hauteurs, et d’en délaisser totalement l’exploitation ou même l’exploration.

Ainsi l’immense majorité de l’amazonie péruvienne qui faisait partie de l’empire inca resta totalement inconnue. Seuls quelques jésuites au XVII et XVIIIeme s’aventurent dans cette zone réputée dangereuse et sans richesses. Rémunérés et gratifiés par leur hiérarchie au nombre d’âmes converties, la majorité d’entre eux abandonnent ce terrain hostile, où les tribus indiennes ne comptent que peu d’individus en comparaison des paroisses andines. On retrouve cependant dans les écrits des quelques-uns qui persistent de nombreuses références à un mystérieux royaume très peuplé en âmes, et très riche… appelé Paititi.

Comment se fait-il que Paititi n’ait pas été retrouvée depuis ?

Cette question peut légitimement se poser. En fait, c’est en partie cette question elle-même qui a empêché la découverte de Paititi : beaucoup pensent que depuis le temps, et avec notre grande maitrise sur notre planète, une cité aussi importante aurait forcément dû être retrouvée. Et donc que si ça n’est pas le cas, c’est qu’elle n’existe pas. Et si elle n’existe pas… il est inutile de la chercher. C’est sans doute la principale raison pour laquelle Paititi n’est pas encore dans les livres d’histoire : parce que ce type de raisonnement à l’envers dure depuis des siècles à son sujet. Pour la minorité qui ne se fait pas piéger dans cette rhétorique inconsciente, la tâche n’est pas pour autant gagnée :

Il faut comprendre en premier lieu ce que représente l’Amazonie. Imaginez que vous mesuriez la taille d’une fourmi, soit 3mm. Vous êtes sur une petite butte, et devant vous, il y a deux mille quatre cent terrains de football côte à côte. Maintenant, avec vos jambes de 1 mm pour seul moyen de locomotion, vous devez vous enfoncer dans cette immense étendue verte hostile, pleine de pièges mortels, et retrouver quelque part une pièce de monnaie égarée. Mais elle a été perdue il y a longtemps, et elle est maintenant enterrée sous la mousse, aussi vous pourriez très bien passer dessus sans même vous en rendre compte. La majorité de ceux qui ont tenté l’aventure n’en sont jamais revenus. Les autres n’ont, au mieux, exploré jusqu’à ce jour qu’une petite partie de ce continent de forêt dense.


La zone même où j’ai retrouvé Paititi n’est pas habitée ou atteinte par notre civilisation : Quelques rares indiens vivent dans les alentours, mais il faut concevoir à quel point les croyances peuvent être fortes chez ces peuples pour comprendre que certaines zones leur sont totalement interdites car sacrées, tabou. La montagne de Paititi, à l’histoire si mystique, en fait certainement partie comme sa réputation chez les peuples andins le prouve. Autour, dans un large rayon d’une centaine de kilomètres, derrière d’énormes chaines de montagnes, il n’y a que quelques pueblos très peu peuplés n’ayant en aucune manière la moindre route, chemin, ou accès à cette zone. Enfin, la région en question est absolument impraticable : Montagnes escarpées, rivières impétueuses, jungle impénétrable, brume et pluie quasi permanentes. Pourquoi y aller et risquer très sérieusement sa vie ? Si certains l’avaient fait, ils auraient pu passer à quelques mètres de la cité sans même l’apercevoir, tant elle est recouverte de végétation. Et comme si la nature gardait le secret, une rivière circulaire leur aurait grandement facilité le contournement de la montagne aux parois vertigineuses sur laquelle se trouve la cité, leur faisant par conséquent rater le site…

D’autres éléments sont à prendre en compte : Paititi est en lisière (mais incluse) dans une zone qui nécessite une autorisation du gouvernement si on veut y entrer. Plus largement, toute la partie forestière du centre-Pérou, assez proche, est connue pour avoir servi de base arrière aux partisans maoïstes du Sentier Lumineux durant la seconde moitié du XXeme siècle, et pour abriter des laboratoires de narco-trafiquants. On ne s’aventure pas dans cette forêt, et l’accès à Paititi par celle-ci est donc resté fermé.

Ensuite, c’est le manque d’informations qui a été le problème principal. Vous le comprendrez en lisant l’histoire de Paititi rédigée à la suite de ma découverte : Cette cité était, dans le contexte très particulier des croyances incas, par nature sacrée et extrêmement secrète. Déjà à l’époque seulement quelques initiés connaissaient son existence, et la majorité d’entre eux ont réussi à la rejoindre avant de se faire prendre par les espagnols. Les seules traces qu’il nous reste sont fragmentaires, elles viennent du témoignage d’indiens mal informés sur sa localisation, qui avaient eux-mêmes entendu parler de son existence et de quelques-unes de ses caractéristiques. Pour ne rien arranger, ces témoignages incomplets ont été récoltés par des chroniqueurs espagnols qui ne connaissaient rien au terrain, via des traducteurs parfois malhabiles… Aussi, devant de si maigres indications et les échecs de toute tentative pour la retrouver, les archéologues ont assez vite considéré que cette cité n’avait jamais existé. Qu’elle était au mieux un mythe inventé par les locaux pour se consoler de la chute de leur grande civilisation.

Une fois cette idée solidement ancrée dans l’establishment, impossible qu’il en démorde. Longtemps, tout professionnel qui évoquait Paititi était ridiculisé, vilipendé, immédiatement classé parmi les illuminés ou les rêveurs, sa crédibilité et sa carrière mises en péril… On se croirait revenus à l’époque où la terre était plate. Il faut comprendre que dans ce contexte, bien peu d’archéologues avec des moyens modernes se soient penchés sur la question. Ceux qui l’ont fait ne méritent que plus de respect, car ils ont su garder ce qui devrait être l’essence de la science : la curiosité, et surtout l’humilité qui permet d’accepter qu’un fait non prouvé ou qui parait difficile à croire n’est pas pour autant inexistant.

En réalité, voici la raison qui m’a permis de trouver Paititi :

Aujourd’hui, presque personne la cherche concrètement.

Deux types de personnes s’y intéressent : d’une part des amateurs, des curieux, qui ne font souvent que survoler le sujet en lisant quelques résumés communs sur internet, sans y consacrer le temps nécessaire.

D’autre part des chercheurs qui la rencontrent au cours de leurs travaux en anthropologie ou archéologie, et traitent souvent avec brio d’un de ses aspects ou d’une des pistes pouvant y mener, mais négligent l’ensemble. On a l’impression qu’ils n’osent pas s’engager officiellement dans la recherche de cette cité.

Ainsi, les multiples informations et indices sur Paititi sont restés jusqu’à ce jour éparpillés un peu partout, personne ne les a vraiment rassemblés pour les croiser et avancer.

C’est ce que j’ai fait grâce au merveilleux potentiel d’internet, j’ai simplement eu la chance que personne n’ait pris le temps de réaliser ce travail avant.

© Vincent Pélissier 2016

Pourquoi les espagnols n’ont-ils jamais trouvé Paititi ?

Les espagnols ont d’abord entendu parler de Paititi après l’épisode de la fuite de Manco Inca, alors qu’ils prenaient possession de l’empire. Quelques expéditions que nous avons vues furent alors lancées pour explorer la forêt, mais la situation politique a très vite limité ces initiatives :

En effet, les relations entre les conquistadors et la royauté espagnole se détériorent fortement. Le roi veut mettre un terme aux abus et aux exactions de ces aventuriers de la première heure qui se comportent de maniere tyranique avec les locaux, torturent, violent, volent, les réduisent en esclavage, se transforment en petits chefs de guerre et se combattent entre eux. En 1550, une ordonnance royale interdit ou suspend les explorations de découverte ou de conquète en cours pour stabiliser la situation encore précaire de la nouvelle colonie et éviter une révolte indienne.

Après la conquête, les espagnols ayant participé à cette dernière sont d’ailleurs principalement occupés à se disputer les territoires andins de l’immense empire inca, et à accaparer le maximum de terres fertiles et de mines productives pour leur propre compte. Le roi tente de récupérer la main, mais ils renvoient son représentant en Espagne et font sécession… Une véritable guerre civile s’en suit, et occupe les conquistadors pendant des années.


Finalement un envoyé du roi dénommé Pedro de la Gasca parvint non sans mal à reprendre le contrôle de la province du Pérou, au prix de nombreuses batailles et d’importantes pertes espagnoles de part et d’autre. A l’issue du conflit, les terres des vaincus furent redistribuées et surtout, chacun fut strictement assigné à y demeurer sans chercher à conquérir les territoires de ses voisins ou d’autres contrées.


Un autre groupe d’espagnols débarque peu de temps après en Uruguay. Ils rencontrent des indiens bien loin d’être au courant de ce qu’il s’était passé à des milliers de kilomètres de là au Pérou, mais qui étrangement mentionnent également l’existence d’un royaume amazonien très riche : ces habitants de la forêt parlent « du roi blanc », « du Gran Candire », ou encore du « Gran Marani, roi puissant de Paytite »

Les espagnols suivent ces guides (souvent des Chiriguanes dont les ancêtres faisaient des raids sur les Andes pour se procurer des objets en métal) sur 2500 km vers le nord-ouest à travers la forêt. Parvenus dans l’est Bolivien ils fondent Santa Cruz, et doivent se rendre amèrement à l’évidence : le riche royaume amazonien tant recherché n’était autre que la partie orientale de l’empire des incas, dont leurs compatriotes avaient déjà conquis les hautes terres, et revendiquaient la partie forestière.

En 1573 un décret royal vient clarifier la situation entre ces deux groupes espagnols, et fixe une limite au delà de laquelle les nouveaux-venus ne pourront pas mener d’expéditions : Le Madre de Dios. Cette vague d’explorateurs qui n’avaient pas encore étanché leur soif de découvertes se sont donc retrouvés « bloqués » à Santa Cruz dans l’est Bolivien, et ont uniquement pu mener des expéditions autour de cette dernière.


Mais peu importait : la zone est-Bolivienne leur était réservée, et après des milliers de kilomètres parcourus, leurs guides chiriguanaes leur indiquaient enfin qu’ils approchaient et que de riches peuples se trouvaient dans des lieux mystérieux nommés Itatín (au nord est de Santa Cruz dans la cordillère de Panacares), Saypurú (à l’ouest dans le piémont andin), et surtout encore et toujours plus au nord, dans un fabuleux royaume appelé Paititi. Hors, au nord immédiat de Santa Cruz s’étendaient les vastes plaines de Mojos, dernier territoire qu’ils avaient le droit de conquérir puisque le Madre de Dios coulait juste au dessus.

Les espagnols, comme toujours depuis leur départ, ont voulu voir midi à leur porte et, comprenant mal les indiens, ont bien vite confondu Mojos et Paititi. Nous y reviendrons, mais il est très possible que les plaines de Mojos aient été conquises par le roi de Paititi, et aient donc fait partie du territoire de ce royaume, même si elles n’étaient en aucun cas son épicentre. Ceci a créé une grande confusion jusqu’à nos jours. On perçoit typiquement cette confusion en lisant ce que le Mercédaire Diego de Porres a écrit en 1582 : « Je traversai beaucoup de provinces et arrivai près de la Terre Riche, à Santa Cruz (…) qui est le royaume du grand Candire, et les Mojos, et le Paititi, et la province des Amazonas ». Les espagnols ont voulu croire qu’ils étaient arrivés. Depuis ce temps là, toutes les expéditions espagnoles chercheront la ville de Paititi trop au sud, en Bolivie : Irala, De Ayolas, Ñuflo de Chaves… la liste est longue, et continue encore aujourd’hui.

Ceux parmi eux qui ont suivi les guides indiens le plus loin au nord-ouest, comme par exemple Gonzalo Solis de Holguin qui atteint presque les rives du Madre de Dios, rapporteront pourtant les récits d’indiens locaux indiquant clairement que le très riche royaume qu’ils cherchaient était encore un peu « plus au nord », où le grand ancêtre appelé « Yaya » régnait sur un peuple « habillé de vêtements en laine, utilisant des frondes comme les incas ». Le peuple du Yaya vit sur une grande montagne entourée d’une lagune.


Pour finir d’ajouter à la confusion, l’un des rares espagnols ayant participé à la conquête de l’empire inca, et donc autorisé à explorer la foret plus au nord (péruvienne), Juan Alvarez de Maldonnado, descendit le Madre de Dios en 1568 et commit une énorme erreur en interprétant à l’envers les indications sur l’emplacement de Paititi qu’il glana sur sa route, comme nous allons le voir. Son récit, à première vue clair, laisse en réalité la place à diverses interprétations, et a achevé de persuader les espagnols que la cité se trouvait dans l’est Bolivien, ou alors très loin, au cœur de l’impénétrable continent Amazonien.


En 1572 l’opération d’éradication de la résistance Inca dans les montagnes se conclue comme nous l’avons vu par la capture et l’exécution de Tupac Amaru. En lieu et place d’une grande bataille avec les survivants ayant fui l’avancée espagnole, il trouvèrent l’Inca et quelques gardes se rendant à eux. Vilcabamba, connue comme étant la dernière capitale du peuple de l’inca, et dernier endroit où le fabuleux trésor de Manco si il existait aurait pu être gardé ? Une modeste cité, vide de population comme de richesses, incendiée. La fin de la résistance après cet épisode peu glorieux sonne quelque part la fin de la croyance en une mystérieuse grande cité Inca restée inconnue.

Déjà alors, pour les espagnols occupés à exploiter les terres andines riches en métaux précieux, en esclaves et en champs fertiles qu’ils ont accaparés, l’envie de s’aventurer au risque de leur vie dans la forêt décline. Paititi semble alors être en Bolivie, et ils n’y ont pas accès. L’exemple typique est celui de Martín Hurtado de Arbieto : ayant hérité de la vaste province de Vilcabamba, donc de la zone de montagnes et d’une partie amazonienne au delà, il décide de pénétrer dans la forêt au niveau de Huanuco pour explorer son domaine sylvestre. S’enfonçant assez peu profondément dans l’enfer vert, il découvrira pourtant un immense bâtiment occupé par quelques indiens. Ceci ne l’empêchera pas de juger la zone bien peu rentable par rapport à ses mines d’argent sur les hauteurs, et d’en délaisser totalement l’exploitation ou même l’exploration.

Ainsi l’immense majorité de l’amazonie péruvienne qui faisait partie de l’empire inca resta totalement inconnue. Seuls quelques jésuites au XVII et XVIIIeme s’aventurent dans cette zone réputée dangereuse et sans richesses. Rémunérés et gratifiés par leur hiérarchie au nombre d’âmes converties, la majorité d’entre eux abandonnent ce terrain hostile, où les tribus indiennes ne comptent que peu d’individus en comparaison des paroisses andines. On retrouve cependant dans les écrits des quelques-uns qui persistent de nombreuses références à un mystérieux royaume très peuplé en âmes, et très riche… appelé Paititi.

Comment se fait-il que Paititi n’ait pas été retrouvée depuis ?

Cette question peut légitimement se poser. En fait, c’est en partie cette question elle-même qui a empêché la découverte de Paititi : beaucoup pensent que depuis le temps, et avec notre grande maitrise sur notre planète, une cité aussi importante aurait forcément dû être retrouvée. Et donc que si ça n’est pas le cas, c’est qu’elle n’existe pas. Et si elle n’existe pas… il est inutile de la chercher. C’est sans doute la principale raison pour laquelle Paititi n’est pas encore dans les livres d’histoire : parce que ce type de raisonnement à l’envers dure depuis des siècles à son sujet. Pour la minorité qui ne se fait pas piéger dans cette rhétorique inconsciente, la tâche n’est pas pour autant gagnée :

Il faut comprendre en premier lieu ce que représente l’Amazonie. Imaginez que vous mesuriez la taille d’une fourmi, soit 3mm. Vous êtes sur une petite butte, et devant vous, il y a deux mille quatre cent terrains de football côte à côte. Maintenant, avec vos jambes de 1 mm pour seul moyen de locomotion, vous devez vous enfoncer dans cette immense étendue verte hostile, pleine de pièges mortels, et retrouver quelque part une pièce de monnaie égarée. Mais elle a été perdue il y a longtemps, et elle est maintenant enterrée sous la mousse, aussi vous pourriez très bien passer dessus sans même vous en rendre compte. La majorité de ceux qui ont tenté l’aventure n’en sont jamais revenus. Les autres n’ont, au mieux, exploré jusqu’à ce jour qu’une petite partie de ce continent de forêt dense.


La zone même où j’ai retrouvé Paititi n’est pas habitée ou atteinte par notre civilisation : Quelques rares indiens vivent dans les alentours, mais il faut concevoir à quel point les croyances peuvent être fortes chez ces peuples pour comprendre que certaines zones leur sont totalement interdites car sacrées, tabou. La montagne de Paititi, à l’histoire si mystique, en fait certainement partie comme sa réputation chez les peuples andins le prouve. Autour, dans un large rayon d’une centaine de kilomètres, derrière d’énormes chaines de montagnes, il n’y a que quelques pueblos très peu peuplés n’ayant en aucune manière la moindre route, chemin, ou accès à cette zone. Enfin, la région en question est absolument impraticable : Montagnes escarpées, rivières impétueuses, jungle impénétrable, brume et pluie quasi permanentes. Pourquoi y aller et risquer très sérieusement sa vie ? Si certains l’avaient fait, ils auraient pu passer à quelques mètres de la cité sans même l’apercevoir, tant elle est recouverte de végétation. Et comme si la nature gardait le secret, une rivière circulaire leur aurait grandement facilité le contournement de la montagne aux parois vertigineuses sur laquelle se trouve la cité, leur faisant par conséquent rater le site…

D’autres éléments sont à prendre en compte : Paititi est en lisière (mais incluse) dans une zone qui nécessite une autorisation du gouvernement si on veut y entrer. Plus largement, toute la partie forestière du centre-Pérou, assez proche, est connue pour avoir servi de base arrière aux partisans maoïstes du Sentier Lumineux durant la seconde moitié du XXeme siècle, et pour abriter des laboratoires de narco-trafiquants. On ne s’aventure pas dans cette forêt, et l’accès à Paititi par celle-ci est donc resté fermé.

Ensuite, c’est le manque d’informations qui a été le problème principal. Vous le comprendrez en lisant l’histoire de Paititi rédigée à la suite de ma découverte : Cette cité était, dans le contexte très particulier des croyances incas, par nature sacrée et extrêmement secrète. Déjà à l’époque seulement quelques initiés connaissaient son existence, et la majorité d’entre eux ont réussi à la rejoindre avant de se faire prendre par les espagnols. Les seules traces qu’il nous reste sont fragmentaires, elles viennent du témoignage d’indiens mal informés sur sa localisation, qui avaient eux-mêmes entendu parler de son existence et de quelques-unes de ses caractéristiques. Pour ne rien arranger, ces témoignages incomplets ont été récoltés par des chroniqueurs espagnols qui ne connaissaient rien au terrain, via des traducteurs parfois malhabiles… Aussi, devant de si maigres indications et les échecs de toute tentative pour la retrouver, les archéologues ont assez vite considéré que cette cité n’avait jamais existé. Qu’elle était au mieux un mythe inventé par les locaux pour se consoler de la chute de leur grande civilisation.

Une fois cette idée solidement ancrée dans l’establishment, impossible qu’il en démorde. Longtemps, tout professionnel qui évoquait Paititi était ridiculisé, vilipendé, immédiatement classé parmi les illuminés ou les rêveurs, sa crédibilité et sa carrière mises en péril… On se croirait revenus à l’époque où la terre était plate. Il faut comprendre que dans ce contexte, bien peu d’archéologues avec des moyens modernes se soient penchés sur la question. Ceux qui l’ont fait ne méritent que plus de respect, car ils ont su garder ce qui devrait être l’essence de la science : la curiosité, et surtout l’humilité qui permet d’accepter qu’un fait non prouvé ou qui parait difficile à croire n’est pas pour autant inexistant.

En réalité, voici la raison qui m’a permis de trouver Paititi :

Aujourd’hui, presque personne la cherche concrètement.

Deux types de personnes s’y intéressent : d’une part des amateurs, des curieux, qui ne font souvent que survoler le sujet en lisant quelques résumés communs sur internet, sans y consacrer le temps nécessaire.

D’autre part des chercheurs qui la rencontrent au cours de leurs travaux en anthropologie ou archéologie, et traitent souvent avec brio d’un de ses aspects ou d’une des pistes pouvant y mener, mais négligent l’ensemble. On a l’impression qu’ils n’osent pas s’engager officiellement dans la recherche de cette cité.

Ainsi, les multiples informations et indices sur Paititi sont restés jusqu’à ce jour éparpillés un peu partout, personne ne les a vraiment rassemblés pour les croiser et avancer.

C’est ce que j’ai fait grâce au merveilleux potentiel d’internet, j’ai simplement eu la chance que personne n’ait pris le temps de réaliser ce travail avant.

© Vincent Pélissier 2016