Confirmation par les témoignages andins
C’est chez les Q’eros des environs du village de Paucartambo situé à la naissance de la cordillère du même nom, que les anthropologues Oscar Nunez del Prado et Efrain Morote Best de l’Université nationale de Cusco ont recueilli la première version de la légende d’Inkarri, le Roi Inca qui se serait réfugié à Paititi, ici complétée par les informations recueillies ultérieurement par Gregory Deyermendjian :
Quand les Espagnols sont arrivés à Cusco, les incas furent tués et persécutés pour leur argent et leur or. Certains ont fui vers Ollantaytambo. L’Inkari (terme désignant les rois Incas en les identifiant tous à ce héros mythique), qui avait fondé le village de Q’ero et Cusco, est à nouveau passé par Q’ero en fuyant vers Païtiti, emportant le kero (vase cérémoniel) en or. Il aurait laissé le témoignage de son passage sous la forme d’empreintes qui peuvent encore être vues dans des endroits appelés Mujirumi et Iñaki Yupin, ce qui a pu être vérifié. Il aurait ensuite suivi une ancienne route, une extension nord du Qapaq Q’ero Ñan, en direction de Pantiacolla (ou Pantay Qoya ou Pantilla Qoya), un vaste plateau de plaines, de montagnes, ruisseaux et rivières gonflées, forêts brumeuses, qui se prolonge loin au nord au milieu de la jungle inférieure. Ils disent que Inkarri est resté là-bas pour le reste de ses jours dans l’oasis tropicale de « Païtiti » qui reste encore caché quelque part sur le plateau mystérieux.
Les Q’eros sont un peuple complètement atypique : ils n’ont été « découverts » par les anthropologues qu’en 1955, vivant encore totalement isolés selon les coutumes, la langue et le mode de vie Inca, et c’est encore en bonne partie le cas aujourd’hui. Ce qui est incroyable, c’est qu’ils occupent un territoire situé non loin au nord-est de Cusco : cela en dit long sur l’inaccessibilité séculaire et le manque de connaissances sur la zone située au delà…
D’autres témoignages sur l’existence de Paititi, issus de populations habitant tout le long de cette cordillère de Paucartambo sont également très intéressants :
Dans la zone de Chinchero et Urubamba (points de passage entre Cusco et Ollantaytambo), mais aussi bien plus au nord encore dans les environs de Quillabamba et de Vilcabamba (l’actuelle), les locaux croient fermement que Paititi a été le refuge des incas, et certains d’entre eux affirment même qu’ils étaient autrefois communication avec eux sans pour autant savoir où se trouvait exactement cette cité dans la jungle. Fernando Jorge Soto Roland qui a consigné ces témoignages a toujours souligné la peur visible et le grand respect de ses sources quand ils prononçaient le nom de cette cité. Jorge A. Flores Ochoa confirme que ces légendes sont répétées le soir dans toutes les familles habitant dans les environs de Urubamba.
Des expéditions ou dans un but de pillage, ou officielles comme celle de José María Pacheco en 1836 ont été menées en direction de la jungle, mais se sont presque toujours terminées en tragédies. Ainsi, la croyance persiste : tous ceux qui se rendent à Paititi meurent, et par conséquent, toute la zone est qualifiée d’ « interdite ».
Le père Polentini, qui a exercé pendant 20 ans dans l’immense province de Vilcabamba (actuelle province de la Convencion) s’est également attelé à recueillir et compiler ces témoignages dans le nord de la province de Calca. Dans cette dernière, on trouve deux sites comportant des glyphes gravés réputés indiquer la direction de Paititi, entre autres à Mantto, sur la rivière Yavero et près de Honda Quebrada.
Les plus éloquents témoignages relatés par le père Polentini venaient d’habitants de la vallée isolée de Larès/Lacco, vallée dans laquelle l’archéologue Thierry Jamin a depuis une dizaine d’année retrouvé plusieurs sites incas et de nombreux chemins oubliés. Selon le religieux, le temps qu’il a fallu aux Espagnols pour pourchasser Manco Inca a été utilisé pour organiser l’exode vers Païtiti. La plupart des groupes seraient partis de Ollantaytambo au nord de Cusco, et il décrit assez précisément leur parcours comme nous allons le voir.
Après avoir répertorié tous ces témoignages, une petite carte s’impose. Elle mériterait un plus grand recul pour se rendre compte de l’extrême proximité de leurs zones d’origine avec l’endroit où j’ai retrouvé Paititi, mais même ainsi, on comprend que la zone de l’empire Inca où la légende de Paititi est la plus présente est bien au nord de Cusco :
Confirmation par les éléments sur le terrain
Comme je l’ai déjà dit, pour moi les chemins anciens parlent, et leurs points de convergence sont systématiquement synonymes de découvertes. Paititi localisée, j’ai cherché, en m’appuyant sur les écrits de certains chroniqueurs décrivant la liaison entre cette ville et Cusco, à retrouver les nécessaires anciennes voies qui permettaient effectivement la communication entre ces deux grands centres culturels, religieux, commerciaux, et de peuplement.
J’ai commencé tout simplement en cherchant sur Google Earth les tracés encore visibles d’anciens chemins, et en particulier sur la cordillère de Paucartambo, relief montagneux situé exactement entre les deux cités, et que j’ai identifié comme lieu où Vilcabalmba a été fondée afin d’aider justement à cette communication.
Voici les premiers résultats de mes observations :
Mon point de départ, la face de montagne présentant des signes d’aménagement en plate-formes, est signalée par le repère rouge. Le premier sentier que j’avais trouvé mène à la pyramide, puis, plus loin, à la « porte de l’Amazonie » et juste derrière à Paititi. J’ai découvert d’autres chemins, forcément anciens vu la très faible fréquentation de cette zone, ainsi que plusieurs détails remarquables qui semblent être des vestiges.
Par exemple :
Je pense que Vilcabamba la vieille, qui n’était qu’une petite ville récemment fondée, un comptoir de commerce en fait, se situait su cette extrême partie de la cordillère. Ayant a été incendiée en 1572, cette autre zone pourrait également lui correspondre :
Vilcabamba, et par là même Paititi, étant censée être reliée à Cusco par 7 Tambos (réservoirs, lieux de stockage de marchandises et de ravitaillement pour les marchands et voyageurs)
J’ai donc recherché les voies qui reliaient cette zone à Cusco. Très vite toutefois, j’ai été confronté à un problème : plus je me rapprochais de Cusco, plus les routes actuelles se multipliaient. Même si l’expérience montre que dans l’immense majorité des cas les voies récentes sont tracées sur les voies anciennes, mes recherches perdaient de leur intérêt.
Cette technique ayant atteint ses limites, et je recherchai alors sur internet le tracé des voies reconnues d’origine inca sur cette fameuse cordillère de Paucartambo. La zone est très mal documentée, et seuls les travaux de quelques archéologues perspicaces m’ont permis d’avancer :
Gregory Deyermendjian, en se basant sur le travail du Dr. Carlos Neuenschwander, identifie plusieurs anciens chemins tous connus comme « chemins vers Paititi » par les locaux, dont un montant sur la cordillère de Paucartambo depuis l’ouest. Il part probablement du Machu Pichu, puis passe par Ollantaytambo, ville fortifiée depuis laquelle seraient partis les réfugiés issus de la région de Cusco et de la vallée sacrée lors de leur fuite vers Paititi, selon les témoignages recueillis par le Père Juan Carlos Polentini. Le chemin passe par Choquechanca, où ils se seraient arrêtés. Un autre s’en sépare à Mantto, site où les incas auraient caché une partie de leur or (toujours selon le père Polentini) et où ont été retrouvées des peintures rupestres représentant des lamas en grand nombre, réputés indiquer le chemin pour Paititi. Il est intéressant de noter que selon la légende, une caravane de 20,000 lamas chargés d’or venus de tout l’empire aurait transité au niveau de Vilcabamba la vieille qui est selon moi située au bout cette chaîne montagneuse.
Ce chemin passe ensuite par le lac de Pumacocha où les fuyards auraient jeté une partie de leurs provisions après avoir perdu plusieurs bêtes de somme. Puis, comme tous les chemins décrits par Mr Deyermendjian, il rejoint une route principale découverte par le Dr Neuenschwander.
Cette grande voie parcourt toute la cordillère de Paucartambo, et s’arrête mystérieusement sans que les archéologues sachent où elle mène. Dans certaines régions, elle se compose de khallki, ou pavés plats ; dans d’autres, elle est indiqué seulement par des sillons profonds dans le sol. On peut supposer qu’elle partait d’une manière ou d’une autre de Cusco, mais on ne connaît son tracé qu’à partir de Paucartambo, en plein territoire Q’eros. On se souvient de leur témoignage, qui décrit précisément la fuite de l’Inkari (roi Inca) emportant avec lui le Kero, vase cérémoniel hautement sacré en or, vers le nord.
La route principale est en effet orientée vers le nord-ouest puis plein nord, soit vers un point situé au nord de Cusco. On peut ici mentionner le médaillon en cire qui était joint au manuscrit Exsul Inmeritus de Blas Valera, ouvrage grâce auquel j’ai pu localiser Paititi. Ce médaillon indique clairement, sous la forme d’une petite boussole, une direction nord-est. Selon l’interprétation de Laura Laurencich, la spécialiste de ce manuscrit, il montre l’emplacement de Paytiti par rapport à Cuzco : en effet, le tocapu de Cusco est présent d’un côté.
Cette chercheuse, dont les travaux sont passionnants, voit dans la carte rudimentaire dessinée sur le médaillon deux rivières qui se rejoignent et partent dans cette direction nord-est. Elle analyse le petit rectangle formé par une paillette d’or entre ces deux bras convergents comme une partie du tocapu de Paititi,. Je pense personnellement qu’il s’agit des deux chemins mentionnés ci dessus, à savoir celui qui passe par Ollantaytambo à gauche et la grande voie qui part de Paucartambo à droite, et que le rectangle en or est Cusco. L’autre minuscule paillette d’or, serait un repère, en fait la cité de Mameria dont nous parlerons un peu plus loin. La boussole servirait à indiquer le chemin le plus court et le plus facile en partant de Cusco : direction nord-est, pour trouver la route principale à Challabamba, et finalement arriver à Paititi, cité dont il est question dans l’ouvrage lié au médaillon.
Revenons à la route de pierre : Pour citer l’excellent travail de terrain de Mr Deyermendjian elle part de « Paucartambo et Challabamba, passe le village de Accobamba situé dans la vallée de la rivière Paucartambo-Mapacho, près des pics déchiquetés du Apu Cañahuay. Plus loin, dans la section appelée Inca Chaca, le chemin est bien pavée. Il passe à cet endroit, dans la même direction nord-nord-ouest, pour atteindre la zone connue sous le nom Sondor (…) La route longe le site de Collatambo, dans l’ombre du sommet de Huascar, et passe le lieu connu comme « Ñusta », puis les pétroglyphes du site appelé « Démarcation » ou Huallpa Mayta, à une hauteur de plus de 4100 mètres au-dessus la zone de niveau de la mer, avec des chiffres en haut-relief des hommes et des lamas à pied vers le nord. Après avoir passé le lac de Suchi Cocha et le site archéologique Tambocasa, elle suit les hauteurs au nord-ouest puis au nord. Elle passe à travers les plaines appelées Pampa de Maravillas et Mesa Pelada avant d’atteindre une zone de transition très difficile, avec un certain nombre de ravins, connu sous le nom de nœud Toporaque. Au nœud se trouvent les «maisons Toporaque» sur le plateau froid et humide de Toporaque. Il s’agit d’un site archéologique de plusieurs structures, relativement bien conservés, longues et rectangulaires avec des murs bas, qui suggèrent un « quartier général » pour les soldats incas qui gardaient l’accès à ce point stratégique. De faible plates-formes de pierre sont également visibles. Ici, la route principale rencontre la route transversale venant des montagnes de Lares-Lacco, traversant la rivière Chunchusmayu devant les ruines de Miraflores. (…) Le chemin de pierre quitte le plateau de Toporaque, toujours en direction du nord-ouest, de plus en plus visible, pour entrer dans une zone très élevée du froid plateau de Pantiacolla. Là, la route se perd dans une direction nord-nord-ouest dans la végétation enchevêtrée et une forêt de nuages denses, dans le cours supérieur de la rivière Timpia.(…) De cette manière, le supposé «Chemin de Païtiti» qui commence fièrement, comme le Qapaq Ñan, sur les hauteurs de Paucartambo, se perd dans ces coins reculés et inhospitaliers de la cordillère de Pantiacolla. »
Mais en fait, non.
Il mène même directement, comme sa réputation le prétend, de Paucartambo jusqu’à Paititi. Car l’endroit où la branche principale se perd n’est autre que le départ du « canyon isolé » de la légende, qui mène directement à la porte de l’Amazonie, et juste derrière, à la grande cité que j’ai découverte, Paititi, bordée par le rio Timpia. La voie principale rejoint en fait celle que j’ai découverte, au niveau de la pyramide 2km à peine plus loin, puis à une quinzaine de kilomètres tout au plus via la crête, Paititi, qui a été une nouvelle fois masquée par son environnement hostile.
Ci dessus la carte de Mr Gregory Deyermendjian, qui a réalisé un travail impressionnant. Paititi se trouve au niveau du coude de la rivière Timpia, qui contourne le plateau avant de filer vers l’ouest.
La route du Dr Carlos Neuenschwander était bien LA voir majeure qui reliait Cusco à Paititi. L’existence de cet ouvrage, qui a du demander tant d’efforts pour être élaboré, est pour moi une preuve éclatante que ma localisation de Paititi est définitivement la bonne.
Autre fait très intéressant dans cette grande route pavée : elle est ponctuée de tambos, ces « réservoirs » mentionnés dans les textes parlant de la fondation de Vilcabamba : suite à l’échec de la campagne militaire de Tupac Yupanki et au traité de paix avec le Yaya, grand ancêtre et seigneur de Paititi, Vilcabamba la vieille aurait été bâtie près de Paititi, et reliée à Cusco par une voie et sept Tambos afin de faciliter le commerce avec cette cité. Vilcabamba, ou plutôt ce qu’il en reste après qu’elle fut incendiée, doit forcément se trouver sur la fin de la cordillère de Paucartambo ou le début de celle de Pantiacolla comme nous l’avons déjà vu, mais aussi le long de cette grande voie de communication reliant Paititi à Cusco. En identifiant les 7 tambos qui la séparent de Cusco, on pourra sans doute accréditer définitivement la thèse de la localisation de Vilcabamba au bout de cette cordillère. Paucartambo, Collatambo, Tambocasa, probablement le nœud de Toporaque, et… ?
Un autre élément frappant en étudiant les chemins menant à Paititi décrits par Mr Deyermendjian, ainsi que les cartes d’autres chercheurs s’intéressant à la zone ou l’ayant parcourue lors d’expéditions, est le nombre extrêmement élevé de vestiges archéologiques bordant lesdits chemins. Hormis les « grands » sites étapes et tambos déjà mentionnés, ce sont : Aucani, Uncayoq, Tambocancha, le pont de Chimur Chaka… On note aussi que les pics de la cordillère de Paucartambo sont connus comme étant hautement sacrés : Apu Pitama, Apu Cañahuay…
D’autre part, si on se réfère au témoignage recueillis par le père Juan Carlos Polentini, Paititi serait également reliée par voie terrestre à Quito via Cajamarca. Or un peu avant la fin de la voie, G. Deyermendjian remarque une voie secondaire qui poursuit son tracé sur la crête vers l’ouest, et qui pourrait être cette voie, qui passerait par des plate-formes dans la forêt du rio Taperachi. A moins qu’il ne suive le cours du rio Yavero, le long duquel ont été retrouvés des glyphes indicateurs.
Enfin « mon » chemin, pris dans le sens de la descente, constitue une troisième voie qui mène à cette étrange montagne aux grandes terrasses qui avaient attiré mon attention en premier lieu. Il semble ensuite passer dans la vallée voisine à Chancamayo, et peut-être, de là, à la vallée sacrée.
© Vincent Pélissier 2016
Confirmation par les témoignages andins
C’est chez les Q’eros des environs du village de Paucartambo situé à la naissance de la cordillère du même nom, que les anthropologues Oscar Nunez del Prado et Efrain Morote Best de l’Université nationale de Cusco ont recueilli la première version de la légende d’Inkarri, le Roi Inca qui se serait réfugié à Paititi, ici complétée par les informations recueillies ultérieurement par Gregory Deyermendjian :
Quand les Espagnols sont arrivés à Cusco, les incas furent tués et persécutés pour leur argent et leur or. Certains ont fui vers Ollantaytambo. L’Inkari (terme désignant les rois Incas en les identifiant tous à ce héros mythique), qui avait fondé le village de Q’ero et Cusco, est à nouveau passé par Q’ero en fuyant vers Païtiti, emportant le kero (vase cérémoniel) en or. Il aurait laissé le témoignage de son passage sous la forme d’empreintes qui peuvent encore être vues dans des endroits appelés Mujirumi et Iñaki Yupin, ce qui a pu être vérifié. Il aurait ensuite suivi une ancienne route, une extension nord du Qapaq Q’ero Ñan, en direction de Pantiacolla (ou Pantay Qoya ou Pantilla Qoya), un vaste plateau de plaines, de montagnes, ruisseaux et rivières gonflées, forêts brumeuses, qui se prolonge loin au nord au milieu de la jungle inférieure. Ils disent que Inkarri est resté là-bas pour le reste de ses jours dans l’oasis tropicale de « Païtiti » qui reste encore caché quelque part sur le plateau mystérieux.
Les Q’eros sont un peuple complètement atypique : ils n’ont été « découverts » par les anthropologues qu’en 1955, vivant encore totalement isolés selon les coutumes, la langue et le mode de vie Inca, et c’est encore en bonne partie le cas aujourd’hui. Ce qui est incroyable, c’est qu’ils occupent un territoire situé non loin au nord-est de Cusco : cela en dit long sur l’inaccessibilité séculaire et le manque de connaissances sur la zone située au delà…
D’autres témoignages sur l’existence de Paititi, issus de populations habitant tout le long de cette cordillère de Paucartambo sont également très intéressants :
Dans la zone de Chinchero et Urubamba (points de passage entre Cusco et Ollantaytambo), mais aussi bien plus au nord encore dans les environs de Quillabamba et de Vilcabamba (l’actuelle), les locaux croient fermement que Paititi a été le refuge des incas, et certains d’entre eux affirment même qu’ils étaient autrefois communication avec eux sans pour autant savoir où se trouvait exactement cette cité dans la jungle. Fernando Jorge Soto Roland qui a consigné ces témoignages a toujours souligné la peur visible et le grand respect de ses sources quand ils prononçaient le nom de cette cité. Jorge A. Flores Ochoa confirme que ces légendes sont répétées le soir dans toutes les familles habitant dans les environs de Urubamba.
Des expéditions ou dans un but de pillage, ou officielles comme celle de José María Pacheco en 1836 ont été menées en direction de la jungle, mais se sont presque toujours terminées en tragédies. Ainsi, la croyance persiste : tous ceux qui se rendent à Paititi meurent, et par conséquent, toute la zone est qualifiée d’ « interdite ».
Le père Polentini, qui a exercé pendant 20 ans dans l’immense province de Vilcabamba (actuelle province de la Convencion) s’est également attelé à recueillir et compiler ces témoignages dans le nord de la province de Calca. Dans cette dernière, on trouve deux sites comportant des glyphes gravés réputés indiquer la direction de Paititi, entre autres à Mantto, sur la rivière Yavero et près de Honda Quebrada.
Les plus éloquents témoignages relatés par le père Polentini venaient d’habitants de la vallée isolée de Larès/Lacco, vallée dans laquelle l’archéologue Thierry Jamin a depuis une dizaine d’année retrouvé plusieurs sites incas et de nombreux chemins oubliés. Selon le religieux, le temps qu’il a fallu aux Espagnols pour pourchasser Manco Inca a été utilisé pour organiser l’exode vers Païtiti. La plupart des groupes seraient partis de Ollantaytambo au nord de Cusco, et il décrit assez précisément leur parcours comme nous allons le voir.
Après avoir répertorié tous ces témoignages, une petite carte s’impose. Elle mériterait un plus grand recul pour se rendre compte de l’extrême proximité de leurs zones d’origine avec l’endroit où j’ai retrouvé Paititi, mais même ainsi, on comprend que la zone de l’empire Inca où la légende de Paititi est la plus présente est bien au nord de Cusco :
Confirmation par les éléments sur le terrain
Comme je l’ai déjà dit, pour moi les chemins anciens parlent, et leurs points de convergence sont systématiquement synonymes de découvertes. Paititi localisée, j’ai cherché, en m’appuyant sur les écrits de certains chroniqueurs décrivant la liaison entre cette ville et Cusco, à retrouver les nécessaires anciennes voies qui permettaient effectivement la communication entre ces deux grands centres culturels, religieux, commerciaux, et de peuplement.
J’ai commencé tout simplement en cherchant sur Google Earth les tracés encore visibles d’anciens chemins, et en particulier sur la cordillère de Paucartambo, relief montagneux situé exactement entre les deux cités, et que j’ai identifié comme lieu où Vilcabalmba a été fondée afin d’aider justement à cette communication.
Voici les premiers résultats de mes observations :
Mon point de départ, la face de montagne présentant des signes d’aménagement en plate-formes, est signalée par le repère rouge. Le premier sentier que j’avais trouvé mène à la pyramide, puis, plus loin, à la « porte de l’Amazonie » et juste derrière à Paititi. J’ai découvert d’autres chemins, forcément anciens vu la très faible fréquentation de cette zone, ainsi que plusieurs détails remarquables qui semblent être des vestiges.
Par exemple :
Je pense que Vilcabamba la vieille, qui n’était qu’une petite ville récemment fondée, un comptoir de commerce en fait, se situait su cette extrême partie de la cordillère. Ayant a été incendiée en 1572, cette autre zone pourrait également lui correspondre :
Vilcabamba, et par là même Paititi, étant censée être reliée à Cusco par 7 Tambos (réservoirs, lieux de stockage de marchandises et de ravitaillement pour les marchands et voyageurs)
J’ai donc recherché les voies qui reliaient cette zone à Cusco. Très vite toutefois, j’ai été confronté à un problème : plus je me rapprochais de Cusco, plus les routes actuelles se multipliaient. Même si l’expérience montre que dans l’immense majorité des cas les voies récentes sont tracées sur les voies anciennes, mes recherches perdaient de leur intérêt.
Cette technique ayant atteint ses limites, et je recherchai alors sur internet le tracé des voies reconnues d’origine inca sur cette fameuse cordillère de Paucartambo. La zone est très mal documentée, et seuls les travaux de quelques archéologues perspicaces m’ont permis d’avancer :
Gregory Deyermendjian, en se basant sur le travail du Dr. Carlos Neuenschwander, identifie plusieurs anciens chemins tous connus comme « chemins vers Paititi » par les locaux, dont un montant sur la cordillère de Paucartambo depuis l’ouest. Il part probablement du Machu Pichu, puis passe par Ollantaytambo, ville fortifiée depuis laquelle seraient partis les réfugiés issus de la région de Cusco et de la vallée sacrée lors de leur fuite vers Paititi, selon les témoignages recueillis par le Père Juan Carlos Polentini. Le chemin passe par Choquechanca, où ils se seraient arrêtés. Un autre s’en sépare à Mantto, site où les incas auraient caché une partie de leur or (toujours selon le père Polentini) et où ont été retrouvées des peintures rupestres représentant des lamas en grand nombre, réputés indiquer le chemin pour Paititi. Il est intéressant de noter que selon la légende, une caravane de 20,000 lamas chargés d’or venus de tout l’empire aurait transité au niveau de Vilcabamba la vieille qui est selon moi située au bout cette chaîne montagneuse.
Ce chemin passe ensuite par le lac de Pumacocha où les fuyards auraient jeté une partie de leurs provisions après avoir perdu plusieurs bêtes de somme. Puis, comme tous les chemins décrits par Mr Deyermendjian, il rejoint une route principale découverte par le Dr Neuenschwander.
Cette grande voie parcourt toute la cordillère de Paucartambo, et s’arrête mystérieusement sans que les archéologues sachent où elle mène. Dans certaines régions, elle se compose de khallki, ou pavés plats ; dans d’autres, elle est indiqué seulement par des sillons profonds dans le sol. On peut supposer qu’elle partait d’une manière ou d’une autre de Cusco, mais on ne connaît son tracé qu’à partir de Paucartambo, en plein territoire Q’eros. On se souvient de leur témoignage, qui décrit précisément la fuite de l’Inkari (roi Inca) emportant avec lui le Kero, vase cérémoniel hautement sacré en or, vers le nord.
La route principale est en effet orientée vers le nord-ouest puis plein nord, soit vers un point situé au nord de Cusco. On peut ici mentionner le médaillon en cire qui était joint au manuscrit Exsul Inmeritus de Blas Valera, ouvrage grâce auquel j’ai pu localiser Paititi. Ce médaillon indique clairement, sous la forme d’une petite boussole, une direction nord-est. Selon l’interprétation de Laura Laurencich, la spécialiste de ce manuscrit, il montre l’emplacement de Paytiti par rapport à Cuzco : en effet, le tocapu de Cusco est présent d’un côté.
Cette chercheuse, dont les travaux sont passionnants, voit dans la carte rudimentaire dessinée sur le médaillon deux rivières qui se rejoignent et partent dans cette direction nord-est. Elle analyse le petit rectangle formé par une paillette d’or entre ces deux bras convergents comme une partie du tocapu de Paititi,. Je pense personnellement qu’il s’agit des deux chemins mentionnés ci dessus, à savoir celui qui passe par Ollantaytambo à gauche et la grande voie qui part de Paucartambo à droite, et que le rectangle en or est Cusco. L’autre minuscule paillette d’or, serait un repère, en fait la cité de Mameria dont nous parlerons un peu plus loin. La boussole servirait à indiquer le chemin le plus court et le plus facile en partant de Cusco : direction nord-est, pour trouver la route principale à Challabamba, et finalement arriver à Paititi, cité dont il est question dans l’ouvrage lié au médaillon.
Revenons à la route de pierre : Pour citer l’excellent travail de terrain de Mr Deyermendjian elle part de « Paucartambo et Challabamba, passe le village de Accobamba situé dans la vallée de la rivière Paucartambo-Mapacho, près des pics déchiquetés du Apu Cañahuay. Plus loin, dans la section appelée Inca Chaca, le chemin est bien pavée. Il passe à cet endroit, dans la même direction nord-nord-ouest, pour atteindre la zone connue sous le nom Sondor (…) La route longe le site de Collatambo, dans l’ombre du sommet de Huascar, et passe le lieu connu comme « Ñusta », puis les pétroglyphes du site appelé « Démarcation » ou Huallpa Mayta, à une hauteur de plus de 4100 mètres au-dessus la zone de niveau de la mer, avec des chiffres en haut-relief des hommes et des lamas à pied vers le nord. Après avoir passé le lac de Suchi Cocha et le site archéologique Tambocasa, elle suit les hauteurs au nord-ouest puis au nord. Elle passe à travers les plaines appelées Pampa de Maravillas et Mesa Pelada avant d’atteindre une zone de transition très difficile, avec un certain nombre de ravins, connu sous le nom de nœud Toporaque. Au nœud se trouvent les «maisons Toporaque» sur le plateau froid et humide de Toporaque. Il s’agit d’un site archéologique de plusieurs structures, relativement bien conservés, longues et rectangulaires avec des murs bas, qui suggèrent un « quartier général » pour les soldats incas qui gardaient l’accès à ce point stratégique. De faible plates-formes de pierre sont également visibles. Ici, la route principale rencontre la route transversale venant des montagnes de Lares-Lacco, traversant la rivière Chunchusmayu devant les ruines de Miraflores. (…) Le chemin de pierre quitte le plateau de Toporaque, toujours en direction du nord-ouest, de plus en plus visible, pour entrer dans une zone très élevée du froid plateau de Pantiacolla. Là, la route se perd dans une direction nord-nord-ouest dans la végétation enchevêtrée et une forêt de nuages denses, dans le cours supérieur de la rivière Timpia.(…) De cette manière, le supposé «Chemin de Païtiti» qui commence fièrement, comme le Qapaq Ñan, sur les hauteurs de Paucartambo, se perd dans ces coins reculés et inhospitaliers de la cordillère de Pantiacolla. »
Mais en fait, non.
Il mène même directement, comme sa réputation le prétend, de Paucartambo jusqu’à Paititi. Car l’endroit où la branche principale se perd n’est autre que le départ du « canyon isolé » de la légende, qui mène directement à la porte de l’Amazonie, et juste derrière, à la grande cité que j’ai découverte, Paititi, bordée par le rio Timpia. La voie principale rejoint en fait celle que j’ai découverte, au niveau de la pyramide 2km à peine plus loin, puis à une quinzaine de kilomètres tout au plus via la crête, Paititi, qui a été une nouvelle fois masquée par son environnement hostile.
Ci dessus la carte de Mr Gregory Deyermendjian, qui a réalisé un travail impressionnant. Paititi se trouve au niveau du coude de la rivière Timpia, qui contourne le plateau avant de filer vers l’ouest.
La route du Dr Carlos Neuenschwander était bien LA voir majeure qui reliait Cusco à Paititi. L’existence de cet ouvrage, qui a du demander tant d’efforts pour être élaboré, est pour moi une preuve éclatante que ma localisation de Paititi est définitivement la bonne.
Autre fait très intéressant dans cette grande route pavée : elle est ponctuée de tambos, ces « réservoirs » mentionnés dans les textes parlant de la fondation de Vilcabamba : suite à l’échec de la campagne militaire de Tupac Yupanki et au traité de paix avec le Yaya, grand ancêtre et seigneur de Paititi, Vilcabamba la vieille aurait été bâtie près de Paititi, et reliée à Cusco par une voie et sept Tambos afin de faciliter le commerce avec cette cité. Vilcabamba, ou plutôt ce qu’il en reste après qu’elle fut incendiée, doit forcément se trouver sur la fin de la cordillère de Paucartambo ou le début de celle de Pantiacolla comme nous l’avons déjà vu, mais aussi le long de cette grande voie de communication reliant Paititi à Cusco. En identifiant les 7 tambos qui la séparent de Cusco, on pourra sans doute accréditer définitivement la thèse de la localisation de Vilcabamba au bout de cette cordillère. Paucartambo, Collatambo, Tambocasa, probablement le nœud de Toporaque, et… ?
Un autre élément frappant en étudiant les chemins menant à Paititi décrits par Mr Deyermendjian, ainsi que les cartes d’autres chercheurs s’intéressant à la zone ou l’ayant parcourue lors d’expéditions, est le nombre extrêmement élevé de vestiges archéologiques bordant lesdits chemins. Hormis les « grands » sites étapes et tambos déjà mentionnés, ce sont : Aucani, Uncayoq, Tambocancha, le pont de Chimur Chaka… On note aussi que les pics de la cordillère de Paucartambo sont connus comme étant hautement sacrés : Apu Pitama, Apu Cañahuay…
D’autre part, si on se réfère au témoignage recueillis par le père Juan Carlos Polentini, Paititi serait également reliée par voie terrestre à Quito via Cajamarca. Or un peu avant la fin de la voie, G. Deyermendjian remarque une voie secondaire qui poursuit son tracé sur la crête vers l’ouest, et qui pourrait être cette voie, qui passerait par des plate-formes dans la forêt du rio Taperachi. A moins qu’il ne suive le cours du rio Yavero, le long duquel ont été retrouvés des glyphes indicateurs.
Enfin « mon » chemin, pris dans le sens de la descente, constitue une troisième voie qui mène à cette étrange montagne aux grandes terrasses qui avaient attiré mon attention en premier lieu. Il semble ensuite passer dans la vallée voisine à Chancamayo, et peut-être, de là, à la vallée sacrée.
© Vincent Pélissier 2016