La formation de l’empire Inca

Les Incas ne sont pas, loin s’en faut, le premier peuple avancé ayant régné sur les Andes : Les civilisaions de Caral ou Chavin avant notre ère, puis pour ne citer qu’elles Nazca, Tiwanaku et Huari jusqu’à l’An mille environ, ont brillé par leur puissance autant que par leurs réalisations avancées. Vers 1200 cependant ces empires chutent après avoir décliné, et les Andes se fractionnent à nouveau en petites seigneuries rivales.

C’est dans ce contexte que les incas seraient apparus dans les environs de Cusco : Selon la légende, ce sont plusieurs Ayllus (ou familles) dirigées par les 4 frères Ayar et leurs 4 sœurs et épouses respectives. Ils se seraient établis dans la région après un long périple, dont l’origine reste encore aujourd’hui très incertaine.


Le terrain qu’ils occupèrent était une zone marécageuse. Ayar Manco, après la disparition de ses trois frères, prit le titre de Manco Cápac, premier Inca, et fonda les quatre quartiers de ce qui allait devenir la capitale de son peuple : Cuzco, « nombril du monde ». La ville était surtout divisée entre partie haute (Hanan), et partie basse (Hurin), illustrant la dualité politico-religieuse à la base de toute la société inca.

La principale scène politique de l’empire est en place. Les premiers Incas succédant à Manco Capac sont Sinchi Roca (qui est son fils), Lloque Yupanqui, Mayta Capac et Capac Yupanqui.

Le peuple gouverné par l’Inca, que nous appellons « les incas » par facilité, n’est alors qu’une tribu guerrière parmi d’autres. Pour se renforcer, les nouveaux venus en fédèrent certaines autour d’eux. Pendant cette période, les incas conquièrent la région du lac Titicaca après avoir âprement combattu les Collas. Ils s’étendent également à l’est jusqu’aux vallées de la côte.

Inca Roca succède à Capac Yupanqui après que celui-ci meurt empoisonné. Des campagnes militaires incas affaiblissent la tribu rivale des Ayarmarcas au nord de Cusco, avant que des mariages réciproques rapprochent définitivement les deux peuples. Selon certains chroniqueurs, Inca Roca aurait également fait une première incursion à l’est dans la zone amazonienne. Il se maria avec une Chunco (terme générique par lequel les incas vivant sur la sierra désignaient les habitants de la forêt)

C’est également Inca Roca qui aurait fondé la « Maison de la connaissance » à Cusco : Les jeunes nobles incas s’y voyaient enseigner la morale, la religion, l’administration de l’empire, mais également les mathématiques, la science, la connaissance du vivant et de l’univers, les croyances andines, l’histoire Inca et le langage Quechua.

Yahar Huacac lui succède. Sous son règne un peuple fédéré se révolte et arrive à saccager Cusco, qui ne devra son salut qu’à une tempête providentielle que les assaillants prendront pour un mauvais présage… Cette première phase du développement inca se termine avec Viracocha Inca, qui étend le territoire inca au nord comme au sud de Cusco.

L’âge d’or de l’empire Inca

L’expansion de l’empire inca ne dépasse alors pas celle des grandes cultures qui l’ont précédé dans cette partie des Andes. Hors, une autre civilisation contemporaine est de taille à réduire à néant ses ambitions : Les Chankas, descendants des Huari, sont une importante ethnie établie dans la région d’Ayachucho, au nord-ouest.

Ce rude peuple guerrier menace finalement Cusco à la fin du règne de Viracocha Inca, en 1438, et s’apprête à conquérir la cité. Le vieux souverain juge la bataille perdue d’avance et fuit dans les montagnes avec son fils et sa cour. Mais un prince d’un autre lignage nommé Cusi Yupanqui décide de résister. Finalement, après une bataille épique, il l’emporte sur les Chankas.


Il réforme le culte puis se fait couronner Inca avec l’aprobation du prêtre du soleil, prend le nom de Pachacútec Inca Yupanqui et créé une nouvelle dynastie. Dès lors, les souverains incas se considéreront et seront considérés comme « Fils du Soleil régnant de droit divin sur le Peuple Élu ».

Pachacutec partit en campagne et occupa la plupart des possessions Chankas, avant de soumettre les révoltes Collas et les Lupakas du lac Titicaca. Il convoqua ensuite les principaux chefs tribaux et les autorités incas des provinces de l’empire à la capitale, et ils décidèrent, ou plutôt se virent imposer l’envoi de travailleurs, vivres et matériaux de construction. Ceci allait devenir régulier. En effet, les grand travaux incas commencent :

Dans les premières années de son règne, Pachacutec vide Cusco de ses habitants et élabore un nouveau schéma de répartition des terrains en privilégiant les panacas (lignages des anciens Incas) et les descendants des ayllus originels, s’attirant ainsi les bonnes grâces de tous. La reconstruction débuta par la canalisation des ruisseaux afin d’éviter les bourbiers durant la saison des pluies, et favoriser un approvisionnement en eau de qualité. Le roi entreprend la reconstruction de la Curicancha, l’enceinte sacrée jusque-là modeste, et en fait un incroyable sanctuaire couvert d’or, dédié au soleil et aux autres dieux incas.

Surnommé le « transformateur de la terre » selon Guaman Poma, Pachacutec a réformé en profondeur et amélioré le système inca de gouvernement, rédigé des lois et crée des tribunaux, dépêché des inspecteurs utilisant le système des quipus (colliers de nœuds permettant de consigner des données) et des représentants royaux partout dans l’empire. Il a fait fonder des cités à l’architecture et au modèle agricole exemplaire sur les territoires conquis pour démontrer aux peuples locaux l’intérêt de faire partie de ce qui était devenu un empire florissant. Il fit tracer des routes royales, réaliser des ponts, des relais pour les messagers. A la cour, personne ne contestait son autorité. Les momies des anciens souverains (huacas apus) étaient conservées dans le temple et sorties sur la place pour les grandes cérémonies. Pachacutec souhaitait en effet que les principales idoles sacrées restent à Cusco, avec leurs serviteurs et biens. Ainsi il contrôlait les membres des Panacas (lignées royales) par la peur de représailles exercées sur les idoles familiales.


Pachacutec « voyage » dans la région forestière du Madre De Dios, d’où il ramena quantité d’or, de plantes médicinales et de fruits exotiques. Au nord de Cuzco dans la partie montagneuse de l’Antisuyu, il fonde la citadelle de Pisac et occupe le Machu Pichu, où il se fait construire un palais pour y résider en villégiature avec les Panacas (lignées royales). John E. Rowe, qui a travaillé sur un manuscrit récemment découvert a appris que toute cette région était le domaine privé de l’Inca, et donc que cette zone était sacrée, secrète, et difficilement accessible pour le commun des incas.

Les conquètes connaissent également sous son règne une croissance sans précédant : les riches cités commerçantes de la côte sud acceptent de se soumettre à l’empire, mais c’est après une âpre guerre que les incas parviennent à annexer les territoires de Cajamarca sur la sierra centrale et la florissante civilisation Chimu sur la côte nord.

Beaucoup de peuples andins préférèrent accepter la souveraineté inca et payer un tribut plutôt que d’entrer en guerre. Les incas ont pour habitude d’accepter d’intégrer le dieu du peuple soumis à leur panthéon, mais à condition que leurs ancêtres Ayar soient reconnus comme les créatures nommées par ce dieu pour gouverner. Ils s’assurent ainsi pour eux-mêmes, les descendants de ces dirigeants de droit divin, une légitimité aux yeux de ces peuples. Ce système de soumission permettait à l’état inca de croitre rapidement, mais constituait également un facteur de fragilité car à la première occasion ces tribus restées culturellement et militairement assez indépendantes, pressées d’impôts, se rebellaient.

Tupac Inca Yupanqui succède à Pachacutec : Ce grand général et stratège hors pair professionnalisa les armées et les organisa en escadrons selon les origines des hommes, marchant avec à leur tête un capitaine de la même ethnie et habillés selon leurs coutumes. Ils étaient répartis en unités en fonction les armes qu’ils utilisaient afin de faciliter le commandement. Au combat les soldats portaient des tuniques en cuir ou en tissu épais avec un disque en métal plus ou moins précieux sur le torse, des boucliers, et des casques ornées de huppes. Les armes étaient essentiellement des chambi (masses d’arme), liwi (bolas), lances, haches et frondes. Avant de lancer l’assaut, ses armées produisaient le plus grand bruit possible afin de décourager les adversaires, à l’aide de tambours, trompettes, conques et flûtes, en hurlant et en chantant.

Sous le règne de Tupac Inca Yupanqui les incas conquièrent le territoire des Chachapoyas dans le nord du Pérou et une partie de l’actuel Équateur. Dans le sud ils occupèrent la partie andine des actuelles Bolivie et Argentine. Certains chroniqueurs rapportent que Tupac Inca Yupanqui envoya une gigantesque flotte dans le Pacifique, qui, poussée par les Alizées favorables, serait arrivée jusqu’en Polynésie…

Tupac Inca Yupanqui mata les tentatives d’insurrection, divisa les royaumes soumis en petites seigneuries et implanta des populations (mitimaes) et des garnisons pour assurer la sécurité de l’empire. Sous son règne, celui-ci fut divisé en quatre et prit le nom de Tahuantinsuyo, l’empire des quatre régions : Chinchansuyo (nord) Contisuyu (ouest), Collasuyu (sud) et Antisuyu (est). Cusco, la capitale, se situait au point précis où toutes les quatre se rencontraient. Fort de sa puissance militaire, il accentua le système des tributs en produits et en travail obligatoire (Mita) demandés aux peuples soumis.

Le déclin de l’empire Inca

A la fin du règne de Topa Inca Yupanqui, une série d’intrigues à la cour de Cusco perturbe sa succession. Après des années de troubles, c’est finalement Huayna Capac qui prend le contrôle de l’empire. Ce dernier mène une importante campagne militaire au sud, suivie d’une autre au nord, où finalement il préfère s’établir plutôt que de rentrer à Cusco qui, depuis les évènements de sa jeunesse, lui déplaisait. Il se remaria sur place et eu de nombreux enfants. Huyna Cápac passa ainsi de longues années au nord dans ces états fort éloignés de la capitale, à combattre les nombreuses ethnies rebelles en compagnie de ses fils préférés, dont Atahualpa.

Huayna Cápac se rendit finalement à Quito pour préparer son retour à la capitale, mais il tomba gravement malade de la variole apportée par les premiers explorateurs espagnols ayant abordé les côtes en 1528. Au bord de la mort, il appela les prêtres pour désigner son héritier, Ninan Cuyuchi. Mais lorsque les dignitaires arrivèrent auprès du prince, ils le trouvèrent mort également.


Cette situation allait engendrer un terrible conflit de succession entre deux des très nombreux enfants de Huayna Capac : Atahualpa, prince du nord où il avait passé sa vie, et Huascar, prince de Cusco. Atahualpa prit les armes pour revendiquer le pouvoir, et conquit au prix de nombreuses batailles sanglantes la partie nord de l’empire. Seule l’île de Puno au large de la cité côtière de Tumbès lui résista.

Petit à petit, Huascar perdit du terrain et le soutien de ses généraux dans le sud, et finalement, à l’issu d’une ennième bataille désastreuse, il fut contraint de fuir et de laisser Cusco à la merci d’Atahualpa. C’est à cette occasion qu’un des princes de Cusco, Inca Shock Auqui (Prince Doré), demi-frère de Huascar, craignant avec raison les terribles châtiments qui attendaient la noblesse de la capitale, fuit vers le nord-est par un passage secret, emmenant avec lui l’essentiel des lettrés, érudits, nobles et prêtres. Ils auraient suivi le « chemin des anciens » et se seraient rendus dans « une autre Cuzco » pour protéger le savoir et les traditions de l’empire.

A l’arrivée des troupes d’Atahualpa devant Cusco, les panacas et lignages importants des Hanan Cusco et des Hurin Cusco qui n’avaient pas fui sortirent de la ville et se prosternèrent pour rendre hommage au nouveau souverain et le reconnaitre comme Inca. La vengeance contre l’Ayllu à laquelle appartenait Huáscar fut terrible. Le général Quizquiz eu pour ordre de tuer tous les parents proches de Huascar, ses femmes et ses fils, y compris les enfants à naitre… Il fit brûler la momie de son ancêtre Túpac Yupanqui, ce qui représentait le plus grand sacrilège possible.

Puis surgirent les nouvelles mentionnant l’apparition de personnes blanches, barbues et brillant au soleil arrivant sur des maisons de bois flottant par la mer. Atahualpa ne s’inquiétait guère de cette poignée d’étrangers qui débarquaient pour la seconde fois sur ses terres, mais il était curieux car leur description correspondait presque parfaitement à celle du dieu Viracocha, qui était selon les plus vieilles légendes andines parti sur l’océan après avoir créé le monde, en promettant aux hommes de revenir…

La chute de l’empire Inca

Quand les espagnols débarquent, la guerre civile est loin d’être terminée, et de nomreux groupes soutiennent encore Huascar en fuite. Francisco Pizarro tombe d’ailleurs en premier sur l’un de ces groupes en abordant sur l’île de Puno, où on voit en lui le dieu sauveur venu pour rétablir l’ordre après des années de conflit terriblement meurtrier. Les terribles épidémies propagées par les premières expéditions européennes sur les côtes quelques années auparavant ont achevé de semer le chaos dans l’empire, qui n’est plus que l’ombre de lui-même.

Pizarro a appris de Cortez, le conquérant de l’empire Aztèque, que les sociétés autochtones ont une organisation pyramidale et qu’en faisant tomber le souverain à leur tête on les fragilise suffisamment pour avoir une chance, en concluant des alliances de circonstances, de prendre le contrôle de l’empire tout entier.


C’est exactement ce que le conquistador va appliquer, avec une certaine maestria stratégique, mais aussi une fourberie et un manque d’honneur récurrents, auxquels les incas n’étaient absolument pas habitués. Pizarro avec sa poignée d’hommes parvient à capturer le puissant Atahualpa lors de leur première rencontre diplomatique à Cajamarca, à l’issue d’une opération surprise vraiment ambitieuse. Les généraux incas venus négocier le retour de leur chef sous peine d’annihiler les espagnols furent lâchement empoisonnés… L’armée inca, privée de commandement, craignant pour la vie de son empereur fils du soleil, se dispersa.

Atahualpa promit alors une colossale rançon en or et en argent aux conquistadors en échange de sa liberté. Celle-ci afflua bien vite, essentiellement du nord de l’empire dont Atahualpa était originaire. Les espagnols trouvèrent Huascar et l’emprisonnèrent également, mais Atahualpa saisit sa chance et fit exécuter son rival. La rançon finalement réunie (une grande pièce remplie jusqu’au plafond d’or), Pizarro ne pouvait en aucun cas laisser Atahualpa en vie : il trahit sa parole et ordonna son exécution sous un prétexte fallacieux. Les espagnols pillèrent ensuite de nombreux lieux sacrés, et se dirigèrent vers Cusco.


Ils étaient épaulés par les nombreuses tribus anciennement soumises aux incas, et qui voyaient là le moyen de se soustraire à leurs anciens maitres et à l’impôt pesant qu’ils devaient leur verser. Au cours de sa marche sur Cusco, Pizarro reçu un autre soutien de taille : celui du successeur de Huascar, un certain Manco Inca, qui lui proposa de l’aider à conquérir la ville, toujours aux mains d’un général d’Atahualpa. En échange, Manco devait être reconnu comme souverain par les espagnols et leurs alliés.

Pizarro accepta bien entendu, mais une fois la capitale conquise fin 1533, Manco Inca déchanta : Il fut humilié, et progressivement réduit au rôle de pantin, puis de prisonnier dans son propre palais. La soif d’or des espagnols se faisait sans cesse plus pressante, et il peinait à préserver les trésors sacrés de son peuple. Parvenant à s’échapper de la ville, il réunit alors une immense armée et assiégea la cité, occupant de nombreux quartiers. Il reconquit également tout le centre de l’empire, et assiégea Lima où Pizarro s’était retranché.


Cependant ses troupes manquaient de vivres et de combativité après des années d’épidémies et de guerre civile : les tribus alliées des espagnols étaient trop résistantes et il ne parvint pas à en venir à bout. Manco Inca réunit alors à travers l’empire tous les objets sacrés en or (ce métal avait la couleur du soleil pour les incas). Ne pouvant plus tenir le siège de Cusco, il se retrancha avec ce fabuleux trésor dans les montagnes au nord de la capitale. Les chroniqueurs de l’époque parlent d’une caravane de 20,000 lamas chargés d’or qui aurait été aperçue dans les montagnes au niveau d’une certaine Vilcabamba.

Cependant, les espagnols ne purent se lancer immédiatement à sa poursuite : Quand les renforts envoyés par Pizarro depuis Lima arrivent à Cusco, ils trouvent la ville en ruines aux mains d’un de ses lieutenants, Diego de Almagro, qui compte bien la garder sous son contrôle. Une bataille s’en suit, et Almagro l’emporte, initiant ainsi une guerre entre espagnols pour le contrôle des terres conquises.

Personne ne sait ce que Manco Inca a fait pendant un an : A-t-il suivit les traces du prince Doré qui s’était retranché dans « une autre Cusco » avec tous les sages incas, pour y mettre à l’abri les momies de ses ancêtres et les objets sacrés ? Nul ne le sait. Les partisans de Manco faits prisonniers par Almagro finiront simplement par lui livrer, sous la torture, que « L’Inca, les couronnes et beaucoup d’autres choses sont à la jonction de la rivière Païtiti et la rivière Pamara, à trois jours de marche de la rivière Manu», ce qui n’avance guère les espagnols, qui ignorent tout de la zone amazonienne et qui doivent rester dans la ville.

Quand un détachement de la cavalerie du conquistador retrouve Manco Inca en juin 1537, il est à Ollantaytambo avec une petite troupe et se replie sur Chuquichaca, puis Vitcos. Mais avec lui, il n’a plus aucun trésor encombrant… Pizarro finira par reprendre Cusco à Almagro en 1538. Il se lance alors dans la traque de Manco Inca, qui mène depuis les montagnes peu accessibles une véritable guérilla contre les espagnols, attaquant les convois de ravitaillement, mettant en déroutes les troupes envoyées pour le capturer, incitant les populations à la révolte contre l’occupant… Manco Inca est réputé diriger la résistance depuis Vilcabamba, une ville des montagnes dont on a perdu le véritable emplacement, mais que les espagnols connaissaient bien puisqu’ils y envoyaient des émissaires.

En 1541, Pizarro est assassiné par des partisans de son ancien lieutenant Almagro. Les meurtriers se réfugient auprès de Manco inca à Vilcabamba. Ce dernier accepte de les recevoir, et leur offre sa protection. Cependant, dès que le nouveau vice-roi du Pérou leur offre l’absolution, ils trahissent le souverain inca et l’assassinent en 1545. Ils seront rattrapés dans leur fuite et décapités.


Sayri Túpac, le fils ainé de Manco prend la relève et initie une phase plus diplomatique de la résistance, parvenant à conclure un traité de paix avec le nouveau vice-roi, qui laisse aux incas le territoire des montagnes qu’ils occupent. Cette situation ne dure pas et dès 1560 la résistance reprend de plus belle avec Titu Cusi Yupanqui, qui lance un appel à travers tout l’ancien empire, sans connaître le succès espéré. Contraint de reprendre les négociations, Titu Cusi parvient à faire appliquer le traité signé avec son prédécesseur. Il est finalement assassiné par un moine qu’il avait laissé pénétrer sur ses terres.

Tupac Amaru lui succède en 1571 et reprend la lutte contre l’espagnol. Francisco de Toledo, le nouveau vice-roi au caractère irascible, a pour mission de soumettre en totalité ce qui était devenu une colonie espagnole, et d’éradiquer l’idolâtrie qui persistait. Ne pouvant tolérer le partage géographique du pouvoir instauré lors du traité avec Titu Cusi, il se sert de la mort d’un émissaire comme prétexte pour conquérir « par le feu et le sang » le dernier territoire inca. A la fin mai 1572, l’invasion commence.

En fait de feu et de sang, il ne se passa presque rien : Après avoir pris le pont de Choquechaka, les espagnols avancent par la vallée de l’Urubamba en écrasant une faible résistance. Ils franchissent un col et passent sur la cordillère de Pantiacolla, ou ils prirent possession des petites places fortifiées de la zone. Finalement le 24 juin 1572 ils entrent à Vilcabamba, mais pour la trouver vidée et incendiée. Tupac Amaru est présent avec une petite garde rapprochée, il se rend.

Enchainé et humilié, le « dernier Inca » est ramené triomphalement à Cuzco. Lui le grand défenseur de la foi inca ira jusqu’à demander à se faire baptiser pour démontrer la fin de toute rébellion. Ceci n’empêchera pas Francisco de Toledo de le faire exécuter en place publique en le décapitant, devant 10.000 indiens hurlant leur tristesse et leur douleur.

Le génocide

Le vice-roi Toledo mit en place une réforme de l’habitat indigène qui permettait de regrouper la « masse de travail » utile, soumise au travail obligatoire, sans rémunération, donc pour parler clairement réduite en esclavage. Tout le système agricole inca, très productif, est anéanti pour favoriser des productions destinées à l’exportation. L’organisation des exploitations agricoles en plantations gigantesques diminue drastiquement le rendement, entrainant d’effroyables famines dans la population.

Les esclaves indigènes sont surtout affectés dans les terribles mines, où l’on estime que sur 12 millions d’habitants, 5 millions d’hommes, femmes, et enfants périssent en 25 ans, victimes de la soif d’or insatiable et de l’inhumanité dont font preuve les espagnols à leur égard. Dans certaines provinces riches en or ou argent, les deux-tiers de la population est réduite en esclavage dans les mines et y périt. Tant et si bien que les espagnols finiront par devoir faire venir des « cargaisons » d’esclaves noirs pour les remplacer…

Les maladies du vieux continent continuent également de plus belle leur moisson de victimes sur cette population affaiblie : la variole notamment, maladie qui entraine une mort horrible et contre laquelle les indiens n’avaient aucune immunité, fauche des millions de vies.

Si certains religieux s’insurgent contre cette barbarie sans nom qui demeure, encore aujourd’hui, l’un des plus grands génocides humains toute époque confondue, la plupart des autorités religieuses sont soumises à la puissance politique colossale que tirait la couronne espagnole de ces mêmes mines en exportant le précieux métal en Europe. Leur argument pour fermer les yeux : « le droit de gouverner et soumettre les Indiens est très juste et clair, puisque le pouvoir de l’Église tendit aux princes chrétiens »…

Dans le but louable de sauver les âmes des indiens, l’inquisition fera des ravages terribles durant tout le 16me siècle dans les Andes, commettant en ces terres reculées des exactions bien pires encore qu’en Europe. Absolument tout pouvait servir et a servi de prétexte aux fanatiques religieux dans ces terres hérétiques par nature, forcément encore loin de maitriser les multiples subtilités rigoureuses de la foi catholique de l’époque, pour brûler, torturer, mutiler, etc…

L’inquisition participe activement et méthodiquement à l’annihilation par le feu de toute trace de culture locale, jugée hérétique. Comme si l’extermination pure et simple de la population ne suffisait pas, le vice-roi Toledo encourage cet « effacement » de toute trace de culture indigène car il y voit la persistance d’une identité inca, d’une fierté qu’il identifie comme une menace et veut briser définitivement. Il censure même les chroniqueurs espagnols qui décrivent les us et coutumes inca en restant un peu trop impartiaux : faire passer en Europe les autochtones pour des monstres, des sauvages aux coutumes barbares permettait bien plus facilement de justifier l’esclavage, et d’engranger les profits…

L’empire Inca comptait selon les estimations entre 8 et 12 millions de sujets en 1530.

En 1600, ils ne sont plus que 2 millions.

En 1754, il ne reste plus que 615 000 indiens.



© Vincent Pélissier 2016

La formation de l’empire Inca

Les Incas ne sont pas, loin s’en faut, le premier peuple avancé ayant régné sur les Andes : Les civilisaions de Caral ou Chavin avant notre ère, puis pour ne citer qu’elles Nazca, Tiwanaku et Huari jusqu’à l’An mille environ, ont brillé par leur puissance autant que par leurs réalisations avancées. Vers 1200 cependant ces empires chutent après avoir décliné, et les Andes se fractionnent à nouveau en petites seigneuries rivales.

C’est dans ce contexte que les incas seraient apparus dans les environs de Cusco : Selon la légende, ce sont plusieurs Ayllus (ou familles) dirigées par les 4 frères Ayar et leurs 4 sœurs et épouses respectives. Ils se seraient établis dans la région après un long périple, dont l’origine reste encore aujourd’hui très incertaine.


Le terrain qu’ils occupèrent était une zone marécageuse. Ayar Manco, après la disparition de ses trois frères, prit le titre de Manco Cápac, premier Inca, et fonda les quatre quartiers de ce qui allait devenir la capitale de son peuple : Cuzco, « nombril du monde ». La ville était surtout divisée entre partie haute (Hanan), et partie basse (Hurin), illustrant la dualité politico-religieuse à la base de toute la société inca.

La principale scène politique de l’empire est en place. Les premiers Incas succédant à Manco Capac sont Sinchi Roca (qui est son fils), Lloque Yupanqui, Mayta Capac et Capac Yupanqui.

Le peuple gouverné par l’Inca, que nous appellons « les incas » par facilité, n’est alors qu’une tribu guerrière parmi d’autres. Pour se renforcer, les nouveaux venus en fédèrent certaines autour d’eux. Pendant cette période, les incas conquièrent la région du lac Titicaca après avoir âprement combattu les Collas. Ils s’étendent également à l’est jusqu’aux vallées de la côte.

Inca Roca succède à Capac Yupanqui après que celui-ci meurt empoisonné. Des campagnes militaires incas affaiblissent la tribu rivale des Ayarmarcas au nord de Cusco, avant que des mariages réciproques rapprochent définitivement les deux peuples. Selon certains chroniqueurs, Inca Roca aurait également fait une première incursion à l’est dans la zone amazonienne. Il se maria avec une Chunco (terme générique par lequel les incas vivant sur la sierra désignaient les habitants de la forêt)

C’est également Inca Roca qui aurait fondé la « Maison de la connaissance » à Cusco : Les jeunes nobles incas s’y voyaient enseigner la morale, la religion, l’administration de l’empire, mais également les mathématiques, la science, la connaissance du vivant et de l’univers, les croyances andines, l’histoire Inca et le langage Quechua.

Yahar Huacac lui succède. Sous son règne un peuple fédéré se révolte et arrive à saccager Cusco, qui ne devra son salut qu’à une tempête providentielle que les assaillants prendront pour un mauvais présage… Cette première phase du développement inca se termine avec Viracocha Inca, qui étend le territoire inca au nord comme au sud de Cusco.

L’âge d’or de l’empire Inca

L’expansion de l’empire inca ne dépasse alors pas celle des grandes cultures qui l’ont précédé dans cette partie des Andes. Hors, une autre civilisation contemporaine est de taille à réduire à néant ses ambitions : Les Chankas, descendants des Huari, sont une importante ethnie établie dans la région d’Ayachucho, au nord-ouest.

Ce rude peuple guerrier menace finalement Cusco à la fin du règne de Viracocha Inca, en 1438, et s’apprête à conquérir la cité. Le vieux souverain juge la bataille perdue d’avance et fuit dans les montagnes avec son fils et sa cour. Mais un prince d’un autre lignage nommé Cusi Yupanqui décide de résister. Finalement, après une bataille épique, il l’emporte sur les Chankas.


Il réforme le culte puis se fait couronner Inca avec l’aprobation du prêtre du soleil, prend le nom de Pachacútec Inca Yupanqui et créé une nouvelle dynastie. Dès lors, les souverains incas se considéreront et seront considérés comme « Fils du Soleil régnant de droit divin sur le Peuple Élu ».

Pachacutec partit en campagne et occupa la plupart des possessions Chankas, avant de soumettre les révoltes Collas et les Lupakas du lac Titicaca. Il convoqua ensuite les principaux chefs tribaux et les autorités incas des provinces de l’empire à la capitale, et ils décidèrent, ou plutôt se virent imposer l’envoi de travailleurs, vivres et matériaux de construction. Ceci allait devenir régulier. En effet, les grand travaux incas commencent :

Dans les premières années de son règne, Pachacutec vide Cusco de ses habitants et élabore un nouveau schéma de répartition des terrains en privilégiant les panacas (lignages des anciens Incas) et les descendants des ayllus originels, s’attirant ainsi les bonnes grâces de tous. La reconstruction débuta par la canalisation des ruisseaux afin d’éviter les bourbiers durant la saison des pluies, et favoriser un approvisionnement en eau de qualité. Le roi entreprend la reconstruction de la Curicancha, l’enceinte sacrée jusque-là modeste, et en fait un incroyable sanctuaire couvert d’or, dédié au soleil et aux autres dieux incas.

Surnommé le « transformateur de la terre » selon Guaman Poma, Pachacutec a réformé en profondeur et amélioré le système inca de gouvernement, rédigé des lois et crée des tribunaux, dépêché des inspecteurs utilisant le système des quipus (colliers de nœuds permettant de consigner des données) et des représentants royaux partout dans l’empire. Il a fait fonder des cités à l’architecture et au modèle agricole exemplaire sur les territoires conquis pour démontrer aux peuples locaux l’intérêt de faire partie de ce qui était devenu un empire florissant. Il fit tracer des routes royales, réaliser des ponts, des relais pour les messagers. A la cour, personne ne contestait son autorité. Les momies des anciens souverains (huacas apus) étaient conservées dans le temple et sorties sur la place pour les grandes cérémonies. Pachacutec souhaitait en effet que les principales idoles sacrées restent à Cusco, avec leurs serviteurs et biens. Ainsi il contrôlait les membres des Panacas (lignées royales) par la peur de représailles exercées sur les idoles familiales.


Pachacutec « voyage » dans la région forestière du Madre De Dios, d’où il ramena quantité d’or, de plantes médicinales et de fruits exotiques. Au nord de Cuzco dans la partie montagneuse de l’Antisuyu, il fonde la citadelle de Pisac et occupe le Machu Pichu, où il se fait construire un palais pour y résider en villégiature avec les Panacas (lignées royales). John E. Rowe, qui a travaillé sur un manuscrit récemment découvert a appris que toute cette région était le domaine privé de l’Inca, et donc que cette zone était sacrée, secrète, et difficilement accessible pour le commun des incas.

Les conquètes connaissent également sous son règne une croissance sans précédant : les riches cités commerçantes de la côte sud acceptent de se soumettre à l’empire, mais c’est après une âpre guerre que les incas parviennent à annexer les territoires de Cajamarca sur la sierra centrale et la florissante civilisation Chimu sur la côte nord.

Beaucoup de peuples andins préférèrent accepter la souveraineté inca et payer un tribut plutôt que d’entrer en guerre. Les incas ont pour habitude d’accepter d’intégrer le dieu du peuple soumis à leur panthéon, mais à condition que leurs ancêtres Ayar soient reconnus comme les créatures nommées par ce dieu pour gouverner. Ils s’assurent ainsi pour eux-mêmes, les descendants de ces dirigeants de droit divin, une légitimité aux yeux de ces peuples. Ce système de soumission permettait à l’état inca de croitre rapidement, mais constituait également un facteur de fragilité car à la première occasion ces tribus restées culturellement et militairement assez indépendantes, pressées d’impôts, se rebellaient.

Tupac Inca Yupanqui succède à Pachacutec : Ce grand général et stratège hors pair professionnalisa les armées et les organisa en escadrons selon les origines des hommes, marchant avec à leur tête un capitaine de la même ethnie et habillés selon leurs coutumes. Ils étaient répartis en unités en fonction les armes qu’ils utilisaient afin de faciliter le commandement. Au combat les soldats portaient des tuniques en cuir ou en tissu épais avec un disque en métal plus ou moins précieux sur le torse, des boucliers, et des casques ornées de huppes. Les armes étaient essentiellement des chambi (masses d’arme), liwi (bolas), lances, haches et frondes. Avant de lancer l’assaut, ses armées produisaient le plus grand bruit possible afin de décourager les adversaires, à l’aide de tambours, trompettes, conques et flûtes, en hurlant et en chantant.

Sous le règne de Tupac Inca Yupanqui les incas conquièrent le territoire des Chachapoyas dans le nord du Pérou et une partie de l’actuel Équateur. Dans le sud ils occupèrent la partie andine des actuelles Bolivie et Argentine. Certains chroniqueurs rapportent que Tupac Inca Yupanqui envoya une gigantesque flotte dans le Pacifique, qui, poussée par les Alizées favorables, serait arrivée jusqu’en Polynésie…

Tupac Inca Yupanqui mata les tentatives d’insurrection, divisa les royaumes soumis en petites seigneuries et implanta des populations (mitimaes) et des garnisons pour assurer la sécurité de l’empire. Sous son règne, celui-ci fut divisé en quatre et prit le nom de Tahuantinsuyo, l’empire des quatre régions : Chinchansuyo (nord) Contisuyu (ouest), Collasuyu (sud) et Antisuyu (est). Cusco, la capitale, se situait au point précis où toutes les quatre se rencontraient. Fort de sa puissance militaire, il accentua le système des tributs en produits et en travail obligatoire (Mita) demandés aux peuples soumis.

Le déclin de l’empire Inca

A la fin du règne de Topa Inca Yupanqui, une série d’intrigues à la cour de Cusco perturbe sa succession. Après des années de troubles, c’est finalement Huayna Capac qui prend le contrôle de l’empire. Ce dernier mène une importante campagne militaire au sud, suivie d’une autre au nord, où finalement il préfère s’établir plutôt que de rentrer à Cusco qui, depuis les évènements de sa jeunesse, lui déplaisait. Il se remaria sur place et eu de nombreux enfants. Huyna Cápac passa ainsi de longues années au nord dans ces états fort éloignés de la capitale, à combattre les nombreuses ethnies rebelles en compagnie de ses fils préférés, dont Atahualpa.

Huayna Cápac se rendit finalement à Quito pour préparer son retour à la capitale, mais il tomba gravement malade de la variole apportée par les premiers explorateurs espagnols ayant abordé les côtes en 1528. Au bord de la mort, il appela les prêtres pour désigner son héritier, Ninan Cuyuchi. Mais lorsque les dignitaires arrivèrent auprès du prince, ils le trouvèrent mort également.


Cette situation allait engendrer un terrible conflit de succession entre deux des très nombreux enfants de Huayna Capac : Atahualpa, prince du nord où il avait passé sa vie, et Huascar, prince de Cusco. Atahualpa prit les armes pour revendiquer le pouvoir, et conquit au prix de nombreuses batailles sanglantes la partie nord de l’empire. Seule l’île de Puno au large de la cité côtière de Tumbès lui résista.

Petit à petit, Huascar perdit du terrain et le soutien de ses généraux dans le sud, et finalement, à l’issu d’une ennième bataille désastreuse, il fut contraint de fuir et de laisser Cusco à la merci d’Atahualpa. C’est à cette occasion qu’un des princes de Cusco, Inca Shock Auqui (Prince Doré), demi-frère de Huascar, craignant avec raison les terribles châtiments qui attendaient la noblesse de la capitale, fuit vers le nord-est par un passage secret, emmenant avec lui l’essentiel des lettrés, érudits, nobles et prêtres. Ils auraient suivi le « chemin des anciens » et se seraient rendus dans « une autre Cuzco » pour protéger le savoir et les traditions de l’empire.

A l’arrivée des troupes d’Atahualpa devant Cusco, les panacas et lignages importants des Hanan Cusco et des Hurin Cusco qui n’avaient pas fui sortirent de la ville et se prosternèrent pour rendre hommage au nouveau souverain et le reconnaitre comme Inca. La vengeance contre l’Ayllu à laquelle appartenait Huáscar fut terrible. Le général Quizquiz eu pour ordre de tuer tous les parents proches de Huascar, ses femmes et ses fils, y compris les enfants à naitre… Il fit brûler la momie de son ancêtre Túpac Yupanqui, ce qui représentait le plus grand sacrilège possible.

Puis surgirent les nouvelles mentionnant l’apparition de personnes blanches, barbues et brillant au soleil arrivant sur des maisons de bois flottant par la mer. Atahualpa ne s’inquiétait guère de cette poignée d’étrangers qui débarquaient pour la seconde fois sur ses terres, mais il était curieux car leur description correspondait presque parfaitement à celle du dieu Viracocha, qui était selon les plus vieilles légendes andines parti sur l’océan après avoir créé le monde, en promettant aux hommes de revenir…

La chute de l’empire Inca

Quand les espagnols débarquent, la guerre civile est loin d’être terminée, et de nomreux groupes soutiennent encore Huascar en fuite. Francisco Pizarro tombe d’ailleurs en premier sur l’un de ces groupes en abordant sur l’île de Puno, où on voit en lui le dieu sauveur venu pour rétablir l’ordre après des années de conflit terriblement meurtrier. Les terribles épidémies propagées par les premières expéditions européennes sur les côtes quelques années auparavant ont achevé de semer le chaos dans l’empire, qui n’est plus que l’ombre de lui-même.

Pizarro a appris de Cortez, le conquérant de l’empire Aztèque, que les sociétés autochtones ont une organisation pyramidale et qu’en faisant tomber le souverain à leur tête on les fragilise suffisamment pour avoir une chance, en concluant des alliances de circonstances, de prendre le contrôle de l’empire tout entier.


C’est exactement ce que le conquistador va appliquer, avec une certaine maestria stratégique, mais aussi une fourberie et un manque d’honneur récurrents, auxquels les incas n’étaient absolument pas habitués. Pizarro avec sa poignée d’hommes parvient à capturer le puissant Atahualpa lors de leur première rencontre diplomatique à Cajamarca, à l’issue d’une opération surprise vraiment ambitieuse. Les généraux incas venus négocier le retour de leur chef sous peine d’annihiler les espagnols furent lâchement empoisonnés… L’armée inca, privée de commandement, craignant pour la vie de son empereur fils du soleil, se dispersa.

Atahualpa promit alors une colossale rançon en or et en argent aux conquistadors en échange de sa liberté. Celle-ci afflua bien vite, essentiellement du nord de l’empire dont Atahualpa était originaire. Les espagnols trouvèrent Huascar et l’emprisonnèrent également, mais Atahualpa saisit sa chance et fit exécuter son rival. La rançon finalement réunie (une grande pièce remplie jusqu’au plafond d’or), Pizarro ne pouvait en aucun cas laisser Atahualpa en vie : il trahit sa parole et ordonna son exécution sous un prétexte fallacieux. Les espagnols pillèrent ensuite de nombreux lieux sacrés, et se dirigèrent vers Cusco.


Ils étaient épaulés par les nombreuses tribus anciennement soumises aux incas, et qui voyaient là le moyen de se soustraire à leurs anciens maitres et à l’impôt pesant qu’ils devaient leur verser. Au cours de sa marche sur Cusco, Pizarro reçu un autre soutien de taille : celui du successeur de Huascar, un certain Manco Inca, qui lui proposa de l’aider à conquérir la ville, toujours aux mains d’un général d’Atahualpa. En échange, Manco devait être reconnu comme souverain par les espagnols et leurs alliés.

Pizarro accepta bien entendu, mais une fois la capitale conquise fin 1533, Manco Inca déchanta : Il fut humilié, et progressivement réduit au rôle de pantin, puis de prisonnier dans son propre palais. La soif d’or des espagnols se faisait sans cesse plus pressante, et il peinait à préserver les trésors sacrés de son peuple. Parvenant à s’échapper de la ville, il réunit alors une immense armée et assiégea la cité, occupant de nombreux quartiers. Il reconquit également tout le centre de l’empire, et assiégea Lima où Pizarro s’était retranché.


Cependant ses troupes manquaient de vivres et de combativité après des années d’épidémies et de guerre civile : les tribus alliées des espagnols étaient trop résistantes et il ne parvint pas à en venir à bout. Manco Inca réunit alors à travers l’empire tous les objets sacrés en or (ce métal avait la couleur du soleil pour les incas). Ne pouvant plus tenir le siège de Cusco, il se retrancha avec ce fabuleux trésor dans les montagnes au nord de la capitale. Les chroniqueurs de l’époque parlent d’une caravane de 20,000 lamas chargés d’or qui aurait été aperçue dans les montagnes au niveau d’une certaine Vilcabamba.

Cependant, les espagnols ne purent se lancer immédiatement à sa poursuite : Quand les renforts envoyés par Pizarro depuis Lima arrivent à Cusco, ils trouvent la ville en ruines aux mains d’un de ses lieutenants, Diego de Almagro, qui compte bien la garder sous son contrôle. Une bataille s’en suit, et Almagro l’emporte, initiant ainsi une guerre entre espagnols pour le contrôle des terres conquises.

Personne ne sait ce que Manco Inca a fait pendant un an : A-t-il suivit les traces du prince Doré qui s’était retranché dans « une autre Cusco » avec tous les sages incas, pour y mettre à l’abri les momies de ses ancêtres et les objets sacrés ? Nul ne le sait. Les partisans de Manco faits prisonniers par Almagro finiront simplement par lui livrer, sous la torture, que « L’Inca, les couronnes et beaucoup d’autres choses sont à la jonction de la rivière Païtiti et la rivière Pamara, à trois jours de marche de la rivière Manu», ce qui n’avance guère les espagnols, qui ignorent tout de la zone amazonienne et qui doivent rester dans la ville.

Quand un détachement de la cavalerie du conquistador retrouve Manco Inca en juin 1537, il est à Ollantaytambo avec une petite troupe et se replie sur Chuquichaca, puis Vitcos. Mais avec lui, il n’a plus aucun trésor encombrant… Pizarro finira par reprendre Cusco à Almagro en 1538. Il se lance alors dans la traque de Manco Inca, qui mène depuis les montagnes peu accessibles une véritable guérilla contre les espagnols, attaquant les convois de ravitaillement, mettant en déroutes les troupes envoyées pour le capturer, incitant les populations à la révolte contre l’occupant… Manco Inca est réputé diriger la résistance depuis Vilcabamba, une ville des montagnes dont on a perdu le véritable emplacement, mais que les espagnols connaissaient bien puisqu’ils y envoyaient des émissaires.

En 1541, Pizarro est assassiné par des partisans de son ancien lieutenant Almagro. Les meurtriers se réfugient auprès de Manco inca à Vilcabamba. Ce dernier accepte de les recevoir, et leur offre sa protection. Cependant, dès que le nouveau vice-roi du Pérou leur offre l’absolution, ils trahissent le souverain inca et l’assassinent en 1545. Ils seront rattrapés dans leur fuite et décapités.


Sayri Túpac, le fils ainé de Manco prend la relève et initie une phase plus diplomatique de la résistance, parvenant à conclure un traité de paix avec le nouveau vice-roi, qui laisse aux incas le territoire des montagnes qu’ils occupent. Cette situation ne dure pas et dès 1560 la résistance reprend de plus belle avec Titu Cusi Yupanqui, qui lance un appel à travers tout l’ancien empire, sans connaître le succès espéré. Contraint de reprendre les négociations, Titu Cusi parvient à faire appliquer le traité signé avec son prédécesseur. Il est finalement assassiné par un moine qu’il avait laissé pénétrer sur ses terres.

Tupac Amaru lui succède en 1571 et reprend la lutte contre l’espagnol. Francisco de Toledo, le nouveau vice-roi au caractère irascible, a pour mission de soumettre en totalité ce qui était devenu une colonie espagnole, et d’éradiquer l’idolâtrie qui persistait. Ne pouvant tolérer le partage géographique du pouvoir instauré lors du traité avec Titu Cusi, il se sert de la mort d’un émissaire comme prétexte pour conquérir « par le feu et le sang » le dernier territoire inca. A la fin mai 1572, l’invasion commence.

En fait de feu et de sang, il ne se passa presque rien : Après avoir pris le pont de Choquechaka, les espagnols avancent par la vallée de l’Urubamba en écrasant une faible résistance. Ils franchissent un col et passent sur la cordillère de Pantiacolla, ou ils prirent possession des petites places fortifiées de la zone. Finalement le 24 juin 1572 ils entrent à Vilcabamba, mais pour la trouver vidée et incendiée. Tupac Amaru est présent avec une petite garde rapprochée, il se rend.

Enchainé et humilié, le « dernier Inca » est ramené triomphalement à Cuzco. Lui le grand défenseur de la foi inca ira jusqu’à demander à se faire baptiser pour démontrer la fin de toute rébellion. Ceci n’empêchera pas Francisco de Toledo de le faire exécuter en place publique en le décapitant, devant 10.000 indiens hurlant leur tristesse et leur douleur.

Le génocide

Le vice-roi Toledo mit en place une réforme de l’habitat indigène qui permettait de regrouper la « masse de travail » utile, soumise au travail obligatoire, sans rémunération, donc pour parler clairement réduite en esclavage. Tout le système agricole inca, très productif, est anéanti pour favoriser des productions destinées à l’exportation. L’organisation des exploitations agricoles en plantations gigantesques diminue drastiquement le rendement, entrainant d’effroyables famines dans la population.

Les esclaves indigènes sont surtout affectés dans les terribles mines, où l’on estime que sur 12 millions d’habitants, 5 millions d’hommes, femmes, et enfants périssent en 25 ans, victimes de la soif d’or insatiable et de l’inhumanité dont font preuve les espagnols à leur égard. Dans certaines provinces riches en or ou argent, les deux-tiers de la population est réduite en esclavage dans les mines et y périt. Tant et si bien que les espagnols finiront par devoir faire venir des « cargaisons » d’esclaves noirs pour les remplacer…

Les maladies du vieux continent continuent également de plus belle leur moisson de victimes sur cette population affaiblie : la variole notamment, maladie qui entraine une mort horrible et contre laquelle les indiens n’avaient aucune immunité, fauche des millions de vies.

Si certains religieux s’insurgent contre cette barbarie sans nom qui demeure, encore aujourd’hui, l’un des plus grands génocides humains toute époque confondue, la plupart des autorités religieuses sont soumises à la puissance politique colossale que tirait la couronne espagnole de ces mêmes mines en exportant le précieux métal en Europe. Leur argument pour fermer les yeux : « le droit de gouverner et soumettre les Indiens est très juste et clair, puisque le pouvoir de l’Église tendit aux princes chrétiens »…

Dans le but louable de sauver les âmes des indiens, l’inquisition fera des ravages terribles durant tout le 16me siècle dans les Andes, commettant en ces terres reculées des exactions bien pires encore qu’en Europe. Absolument tout pouvait servir et a servi de prétexte aux fanatiques religieux dans ces terres hérétiques par nature, forcément encore loin de maitriser les multiples subtilités rigoureuses de la foi catholique de l’époque, pour brûler, torturer, mutiler, etc…

L’inquisition participe activement et méthodiquement à l’annihilation par le feu de toute trace de culture locale, jugée hérétique. Comme si l’extermination pure et simple de la population ne suffisait pas, le vice-roi Toledo encourage cet « effacement » de toute trace de culture indigène car il y voit la persistance d’une identité inca, d’une fierté qu’il identifie comme une menace et veut briser définitivement. Il censure même les chroniqueurs espagnols qui décrivent les us et coutumes inca en restant un peu trop impartiaux : faire passer en Europe les autochtones pour des monstres, des sauvages aux coutumes barbares permettait bien plus facilement de justifier l’esclavage, et d’engranger les profits…

L’empire Inca comptait selon les estimations entre 8 et 12 millions de sujets en 1530.

En 1600, ils ne sont plus que 2 millions.

En 1754, il ne reste plus que 615 000 indiens.



© Vincent Pélissier 2016